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Dossier L’industrie informatique dans la société de l’information

Cédric Gossart, Nicolas Jullien, Jean-Benoît Zimmermann Version imprimable de cet article Version imprimable

L’industrie informatique est une industrie des moins anciennes. Pourtant depuis sa naissance au tout début des années 1950, elle a connu des bouleversements successifs qui en ont peu à peu transformé les bases, les modalités de la concurrence, les modes de production, le déploiement international...

Longtemps considéré comme un oligopole strictement dominé par la puissance d’IBM et orienté vers les « grands comptes », l’informatique a connu une multiplication de ses segments de marché qui témoignait d’une évolution successive, permise par le changement technique et organisationnel, vers des machines de plus petite taille et des clients de moindre poids économique. Tandis que se succédaient les acteurs leaders de la mini puis de la micro-informatique, IBM commençait à perdre de sa puissance économique et à laisser à d’autres le pouvoir de décider des règles de l’industrie.

Avec cette évolution et avec un renouvellement profond des techniques de programmation et du rôle du logiciel dans le fonctionnent des systèmes d’information, on a finalement assisté à une diffusion massive des technologies issues de l’informatique vers des secteurs connexes comme les télécommunications ou l’électronique grand public, mais aussi vers des secteurs plus éloignés comme ceux des industries culturelles. Conséquence de cette convergence technologique autour de la numérisation et de son corollaire que représente la mise en réseau généralisée qu’a permis le développement d’Internet, c’est la société toute entière qui se voit impactée dans un phénomène désigné souvent comme l’émergence d’une « société de l’information ».

On a désormais tendance à ne plus parler d’industrie informatique mais d’ « industrie du traitement de l’information » dont le périmètre des activités économiques s’étend largement au delà des traditionnelles activités de conception et fabrication d’ordinateurs et de logiciels et services informatiques. Les matériels informatiques et les logiciels et services n’y pèseraient plus que 10 et 20% respectivement en valeur. Pourtant les frontières sont floues et sans technologies informatiques il n’y aurait pas de smartphones, pas de consoles de jeux, pas d’équipements de télécommunication... Quant à l’industrie du logiciel, elle s’est organisée en un oligopole segmenté et concentré (Microsoft, Oracle, SAP).
Par ailleurs la production de ces matériels mais aussi des logiciels, dans un marché désormais global, s’est pour une grande partie délocalisée vers des zones à bas coûts salariaux et des entreprises de pays émergents ont accédé à des positions de force sur ce marché. De nouveaux acteurs asiatiques, Chinois (IBM a cédé sa division micro-ordinateurs à Lenovo), Taïwanais et Coréens occupent désormais des places importantes dans les ventes de micro-ordinateurs. Quant aux producteurs occidentaux de micro-informatique ils ont installé en Inde une grande part de leur production, à l’instar de Dell qui produit en Inde et en Malaisie. Mais ce mouvement semble atteindre un point d’inflexion, car avec l’augmentation des coûts de main-d’œuvre et de transport, certaines études considèrent aujourd’hui possible la relocalisation de la production informatique et électronique (étude du BCG de mars 2012, disponible sur http://www.bcgperspectives.com)
Enfin la diffusion des logiciels libres, emblème du renouveau de la production coopérative par des utilisateurs-développeurs (Von Hippel) a entraîné l’apparition de nouvelles entreprises spécialisées dans la commercialisation de ces productions libres, comme RedHat, qui a dépassé le milliard de dollars de chiffre d’affaires, et la disparition d’autres, comme SUN, victime des offres de serveurs sous Linux. Il s’agit là sans aucun doute d’un phénomène important qui pourrait à terme contribuer à renouveler le paysage d’une industrie informatique qui, si elle se fait discrète pour le profane, n’en continue pas moins d’être le moteur industriel de cette « société de l’information ».

L’objectif de ce dossier était de faire le point sur ce qu’est devenu l’industrie de l’informatique dans ce monde nouveau. Il se trouve toutefois que les propositions de contribution que nous avons reçues sont dans leur ensemble plutôt orientées sur des questions relatives à la production de logiciel libre et aux modèles d’affaires qui l’accompagnent, aux nouveaux modèles de production de standards, à l’irruption des technologies de l’information dans notre quotidien.
A bien y réfléchir cette orientation qui de fait s’est imposée à nous pour ce dossier, n’a rien de surprenant. Tout d’abord, quand on explore la littérature récente en sciences sociales, force est de constater que la dimension strictement industrielle, celle qui concerne la production des machines, est très peu étudiée, contrairement à ce qui en était lors des décennies précédentes. Ceci s’explique assez naturellement par le fait que les dimensions immatérielles, logiciels et services, mais aussi les conditions qui gouvernent l’impératif d’interopérabilité, ont pris une place primordiale au cœur de cette industrie, les « matériels » apparaissant désormais davantage comme des commodités. Ainsi sur un marché mondial des TIC estimé en 2010 à près de 3000 milliards de dollars, les services de télécommunications pesaient pour un bon tiers, les logiciels et services informatiques pour plus de 20%, tandis que les matériels informatiques atteignaient à peine 10% et les équipements de télécommunications à peine 8%.

Pourtant ces segments matériels sont l’objet de stratégies industrielles souvent féroces. Si les ordinateurs personnels ont basculé dans des versions de plus en plus nomades, ordinateurs portables et notebooks d’abord, tablettes et smartphones aujourd’hui, la concurrence pour le contrôle de ces marchés fait rage, y compris en termes de systèmes d’exploitation et de propriété intellectuelle, comme en témoigne la guerre judiciaire que se livrent Samsung-Google et Apple. Par ailleurs les grandes manœuvres pour le contrôle du nouvel Internet, non plus aujourd’hui celui des réseaux d’infrastructure, mais celui des réseaux sociaux du web participatif se fait à travers les investissements massifs que des jeunes géants comme Facebook, Google, mais aussi Microsoft, consentent pour le développement d’activités hors de leur champ d’origine, y compris par le rachat de plus petits acteurs. Enfin puisque ces guerres de positions prennent place dans un contexte de Big Data, la production plus discrète des serveurs, briques de base des fameuses « fermes » de l’Internet, représente, avec celle des supercalculateurs des enjeux industriels et stratégiques considérables.

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