Des usages

Jacques Vétois


Indépendamment des stratégies mises en œuvre par les grands groupes informatiques, la force des logiciels libres et leur succès reposent sur leurs qualités comme outil de développement. Ils ont été plébiscités par les utilisateurs ou du moins par une certaine catégorie d'entre eux qui possédaient des compétences fortes dans le domaine de la programmation, en particulier dans le monde scientifique. Les premiers logiciels libres connus largement sur le plan international sont des outils comme les compilateurs gcc et g++, l'éditeur de texte Emacs de la GNU Software Foundation. Il n'est pas étonnant qu'une partie des contributions sur les usages exprime le vécu et les contradictions des laboratoires qui fournissent une partie non négligeable des utilisateurs (et des développeurs) du logiciel libre.

Jean M. Thiéry nous rappelle que le développement des logiciels libres est lié à des dizaines d'années de travaux de recherches dans les laboratoires publics ou privés ; les chercheurs, pour analyser et contrôler leurs expériences et leurs travaux, ont été amenés à créer de nombreux logiciels en chimie, physique ou biologie. La tentation est grande pour les directions de ces laboratoires de commercialiser ces logiciels (ainsi que les données qui ont sont issues) pour faire face à la baisse des financements publics. Cette politique entre en contradiction avec le développement de la connaissance scientifique qui ne peut exister que par la libre circulation des résultats et des travaux.

Le laboratoire LIP6 de l'Université Pierre et Marie Curie et son département ASIM (Architecture de systèmes intégrés et micro- électronique) distribuent sous licence GPL via Internet, la chaîne de conception de circuits intégrés Alliance. Meryem Marzouki et Alain Greiner expliquent la démarche suivie par leur laboratoire. Selon eux, la collectivité qui finance la recherche publique reste bénéficiaire tant du point de vue économique que social car cette licence ne s'oppose pas au développement d'entreprises commerciales performantes et à la valorisation du travail de recherche. Ils préconisent comme mesure incitative la création d'une agence nationale de la recherche publique libre chargée de la promotion du logiciel libre issu de la recherche publique.

François-René Rideau Dang-Vu Bân fait une présentation informelle des techniques d'automatisation de la programmation et de génération automatique du code, que l'on appelle du nom générique de métaprogrammation. Il plaide en faveur de la libre disponibilité des sources dans une telle démarche et essaie d'établir un pont entre la métaprogrammation et le monde du logiciel libre.

Mais les scientifiques et les ingénieurs ne représentent que la fraction "éclairée" des utilisateurs d'ordinateurs. Aujourd'hui, GNU/Linux a la prétention de s'adresser à tout utilisateur de PC. La percée auprès d'eux ne sera vraiment assurée que le jour où ceux-ci trouveront dans le monde du logiciel libre de meilleurs services que dans le monde Windows.Marie De Besses estime que la circulation de l'information dans le domaine du logiciel se dégrade et que les logiciels libres sont une réaction à cet état de fait. Naturellement, les choses diffèrent si l'on est simple usager, concepteur de logiciels ou utilisateurs informaticiens. Les simples usagers sont les moins intéressés à l'utilisation des logiciels libres car ils ont peu de moyens d'interagir avec les concepteurs de logiciels. Un soutien public au logiciel libre qui pourrait permettre la mise en place de formation adaptée aurait un effet d'entraînement.

Dans le cadre de la mise en ligne de services, De Giovanni et Christophe Gouinaud nous expliquent comment la Guilde des doctorants a mis en place des listes d'emplois thématiques en faisant collaborer sur le "mode du bazar" des gens capables de mettre en œuvre des logiciels et d'autres à même de structurer et d'analyser l'information relative aux formations doctorales.