La perception des biotechnologies dans une société du risque


« La science devient de plus en plus nécessaire mais de moins en moins suffisante à l'élaboration d'une définition socialement établie de la vérité » affirme dès 1986, le sociologue allemand Ulrich Beck, dans un ouvrage intitulé « Risikogesellschaft ? Auf dem Weg in eine andere Moderne » (1) dont les thèses ont connu une large audience et eu un retentissement majeur sur la perception des crises technologiques.
Ainsi, à mesure que notre type de développement économique génère ces externalités négatives que sont les « risques industriels », le contrat social liant la société « post-industrielle » et ses élites technocratiques se renforce, tandis que les controverses techniques font irruption dans le cours des affaires publiques avec des effets difficilement « traçables ». Les turpitudes que nous promet cette manufacture des risques demeurent, du moins pour le moment, largement virtuelles en ce qui concerne les organismes génétiquement modifiés. Mais pour virtuelles qu'elles soient, elles soulèvent des inquiétudes qui n'en sont pas moins vives, générant en retour des propos d'autant plus rassurants que leurs auteurs s'apprêtent à éviter d'en assumer l'impact financier ou économique, sans parler d'une éventuelle responsabilité sociale.
Le débat sur les OGM renvoie à un choix sur le modèle de développement dont pour revendiquer les bénéfices il faudra bien assumer les conséquences. Aussi, avons-nous sollicité, dans un choix forcément partiel mais trop contingent pour être vraiment partial, des représentants de la « société civile » et des organisations professionnels afin qu'ils présentent leur point de vue dans cette controverse.
Jean-Pierre Bompard, secrétaire confédéral chargé de la Recherche à la CFDT, présente le texte de la Confédération européenne des syndicats sur la sécurité alimentaire mondiale préparé pour la conférence de Johannesburg sur le développement durable, en souhaitant que « le débat sur les OGM ne soit pas pollué par des questions de principe ».
A la veille d'une sortie aménagée du moratoire européen, les interprofessions, qui se sont longtemps cantonnées dans une prudente réserve, prennent désormais la parole : Philippe Gracien, directeur général du Groupement interprofessionnel des semences et plants, nous expose la « position de l'interprofession des semences sur le nouveau dispositif réglementaire européen encadrant la commercialisation et la culture des OGM ». L'Association générale des producteurs de maïs (AGPM) n'est pas en reste puisqu'elle nous confie son point de vue par l'intermédiaire de Pascal Coquin, chargé d'études : « lever le moratoire nécessite de s'assurer de la possibilité de la coexistence des cultures ».
Mais tous les producteurs ne l'entendent pas de cette oreille, et ceux de la Confédération paysanne l'ont fait savoir par des actions au caractère spectaculaire. Pour Terminal, Nicolas Duntze et Olivier Clément posent simplement la question « à qui profitent les OGM ? » en insistant sur la volonté hégémonique de contrôle du marché des semences par certains acteurs ?
Du côté des associations de protection de l'environnement, Lylian Le Goff, responsable de la mission biotechnologies de France Nature Environnement, s'insurge contre une levée éventuelle du moratoire portant sur les cultures transgéniques dans un texte intitulé « OGM : une vraie fausse solution ».
Mais qu'en pense le consommateur ? On se doute que les enseignes de la grande distribution sont extrêmement attentives à tout ce qui pourrait signaler une éventuelle révolte des caddies et on a pu constater qu'elles sont capables d'effectuer des revirements spectaculaires lorsque leurs intérêts vitaux sont en jeu !
Chronos nous ayant dans sa course rattrapé, refermons provisoirement ce dossier sur la contribution de Sylvie Bonny, chercheur au département Economie et sociologie rurales de l'Inra, qui souligne pour nous les « biais » du débat sur les OGM : très polarisé, souvent manichéen ? et, il faut bien l'avouer pour ce qui nous concerne, limité à des échanges très franco-français, assez peu européens encore moins mondialisés. On se surprend à rêver de pouvoir débattre avec les allemands d'agriculture biologique, avec les italiens et les argentins de viande bovine, avec les brésiliens de soja et avec les chinois de poulet ? évidemment, de quoi consacrer encore plusieurs numéros spéciaux à cette « téknè » particulière qu'est la transgenèse. Mais les poules pourraient bien avoir des dents avant même qu'on épuise le sujet !

Notes

  1. Traduit de l'allemand par Laure Bernardi et publié chez Aubier en 2001 « La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité », Paris, 521 p.