Pratiques de l'innovation technologique


Héphaïstos. - Ah! métier détesté!
Pouvoir. - Pourquoi le détester? Car, à parler franc, ton métier n'est pas la cause des maux présents.
Héphaïstos. - Néanmoins il aurait bien dû échoir à quelque autre.
Pouvoir. - Tous les métiers sont déplaisants, sauf celui de roi des dieux, car nul n'est libre que Zeus.
Eschyle. Prométhée enchaîné.
(Trad. de É. Chambry, v. 47-50).

A qui le tour ? C'est la formule qui vient à l'esprit si l'on se penche sur les développements récents en matière de clonage, en particulier chez les mammifères? Dans ce bestiaire un peu particulier, 2003 sera l'année du rat : l'Inra et genOway, une firme lyonnaise de biotechnologie, viennent d'en annoncer les premiers clones (1)!
Du côté de l'institut public de recherche, on se félicite de ce résultat « attendu avec impatience par la communauté internationale ». En effet, du point de vue de la physiologie, le rat est plus proche de l'homme que bien des espèces encore utilisées actuellement en laboratoire . Il constitue un meilleur modèle pour l'étude de certaines pathologies cardio-vasculaires, comme l'hypertension ou l'athérosclérose, et neurologiques, comme la maladie d'Alzheimer. Du côté du partenaire privé, on exulte : « les sociétés biopharmaceutiques peuvent maintenant s'attendre à voir la productivité de leur processus de Recherche et Développement s'améliorer considérablement grâce aux rats génétiquement modifiés » affirme Alexandre Fraichard, PDG de genOway.
Si l'on entrevoit plus ou moins vers quels horizons financiers, le regard de certains managers se portent, gardons nous cependant d'extrapolations faciles car du modèle animal à l'homme il y a plus que l'épaisseur d'un trait. Jean-Paul Renard, qui a dirigé cette recherche comme responsable de l'unité de Biologie du développement et de la reproduction au centre Inra de Jouy en Josas, n'ignore pas que le clonage se situe en tant que technique « au c½ur des débats sur les relations entre science et éthique ». C'est pourquoi, sa contribution a le mérite d'éclairer une question que d'aucuns, à court d'arguments éthiques, n'hésitent plus à poser brutalement « Faudra t il interdire les recherches sur la culture des cellules souches adultes ? ». En l'état actuel de nos connaissances, il semble bien que la réponse, en particulier par voie législative (2), n'aille pas de soi ?

Claude Fauquet, co-responsable d'un laboratoire de recherche sur les biotechnologies appliquées à l'agriculture tropicale - coopération entre l'IRD (3) et l'Université du Missouri à Saint-Louis (USA), pose la question de l'utilisation de la transgenèse pour les pays en développement de façon provocatrice « De quel droit ? ? » en reprenant pour tenter de les démonter les arguments des adversaires déclarés des techniques transgéniques.

Phytovirologue émérite, Claude Fauquet a travaillé de nombreuses années en Afrique de l'Ouest sur les virus des plantes tropicales : nous pouvons donc avoir confiance dans l'appréciation portée sur les dégâts causés aux cultures tropicales qu'elles soient vivrières ou de rente. Pour autant, doit-on le suivre dans l'ensemble de ses conclusions sur le plan économique ?

Antoine Messéan du CETIOM (4) est chargé de mission à l'Inra auprès de la Délégation Permanente à l'Agriculture, au Développement et à la Prospective. Son action se situe donc plutôt dans le contexte des agricultures européennes. Antoine Messéan plaide pour la mise en place d'un cadre d'évaluation de l'introduction des OGM dans les systèmes de culture européens. Dans l'hypothèse probable de l'abandon du moratoire européen sur la mise en culture de plantes transgéniques, il s'agirait de passer d'une évaluation faite à priori à un état de biovigiliance. Ce système de biovigilance serait basé sur des outils de modélisation exploitant les données statistiques sur l'utilisation du territoire et les données administratives agricoles sur la gestion du parcellaire. Dans un tel dispositif de mise en ½uvre du principe de précaution à l'échelle européenne, on conçoit que les attentes envers l'expertise apportée par la recherche publique soient très fortes chez certains acteurs mais que pour d'autres, la légitimité des instituts de recherche finalisés à se poser en maître d'½uvre de tels dispositifs de biovigilance puisse être remise en cause. Notes

  1. Cf. communiqué de presse Inra/genOway du 25 septembre 2003, relatant la publication d'un article dans la revue Science intitulé « Generation of Fertile Cloned Rats by Regulating Ovocyte Activation » par Qi Zhou , Jean-Paul Renard, Gaëlle Le Friec, Vincent Brochard, Nathalie Beaujean, Yacine Cherifi, Alexandre Fraichard , Jean Cozzi.
  2. Institut de Recherches pour le Développement (ex-ORSTOM)
  3. Centre technique interprofessionnel des oléagineux métropolitains
  4. Unité Eco-Innov, INRA-Grignon