Travail

Dossier Centres d'appel



La société de l'information a accouché d'une industrie en plein essort, celle des Centres d'appel, qui a créé en un temps record 150.000 emplois. Industrie, plus que simple activité de service, celle des centres d'appel a mis en place des modes de travail et d'organisation qui ressemblent étrangement à ceux de la grande époque fordienne: emploi de salariés dépourvus de qualification spécifique, travail répétitif soumis à des cadences rapides, hiérarchie omniprésente chargée tout particulièrement de surveiller les opérateurs, précarité des statuts et horaires décalés, stricte prescription des modalités d'exécution, bas salaires.

Mais contrairement à l'industrie de production matérielle, ces nouveaux services aux personnes et aux entreprises ressortent aussi de pratiques et de représentations typiques de l'âge postindustriel:

Les employés sont surdiplômés. Ils sont en prise directe avec la clientèle, ce qui leur confère le sens de l'utilité sociale (aide et conseil aux personnes en difficulté, par exemple). Ils tirent fierté de leurs relations de personne à personne, mobilisant leurs qualités humaines et commerciales au niveau de l'écoute et des réponses apportées aux demandes.

Et en même temps, les jeunes salariés des centres d'appel, souvent d'origine étrangère, savent fort bien que leur activité est frustrante (les conversations sont généralement limitées à moins de trois minutes), provisoire, stressante, sans perspectives de promotion. Surtout, leur travail est de plus en plus encadré par des automatismes couplant la téléphonie, l'ordinateur et les bases de données.

En ce sens, explique Olivier Cousin dans une parution récente de la revue Sociologie du travail, l'expérience des chargés d'assistance (catégorie majoritaire dans les centres) est proche de celle des "équipiers" travaillant dans les fast-food.

Les trois articles que nous livrons ici dressent un bilan provisoire mais éloquent de l'usage des NTIC dans ce secteur lié à l'expansion galoppante du travail à distance, du marketing direct et de la consommation standardisée.

Laetitia Schweitzer met en évidence les formes de contrôle social exercées sur les téléopérateurs: "Le dispositif technique permet d'encadrer, de codifier et de normer la relation entre l'opérateur et le client." Elle conclut à l'incapacité manageriale de mobiliser la responsabilité des agents autrement que par la contrainte."

`Quynh Delaunay montre la centralité de l'information dans le nouveau processus de production et le brouillage des frontières entre les moyens, les objectifs et les résultats de la relation à la clientèle. Elle analyse la concentration et la délocalisation mondiale des centres d'appel, tout en soulignant avec force leur originalité économique, qui porte à restructurer les rapports entre industries et avec les consommateurs.

Giusto Barisi expose les résultats d'enquêtes menées par la CGT et la CFDT sur les processus d'industrialisation des services pour les utilisateurs, mais aussi sur l'implication croissante des spécialistes en produits, achats, diagnostics, comptabilité, dans la chaîne des prestations de services informatisés, conduisant à une intégration tendancielle des usagers dans la logique d'une production-vente en temps réel.

Ces trois analyses ouvrent un large champ de recherches empiriques et théoriques.


Michel Burnier