Editorial


Guerre dans l'Empire


Il est des périodes où il est difficile de ne pas prendre parti. Nous avons assisté au combat entre la première puissance technologique et militaire de la planète et un pays ruiné par deux autres autres guerres et douze années d'embargo. Seuls, Saddam Hussein, dictateur sanguinaire admirateur de Staline et les dirigeants du parti Baas au pouvoir depuis 30 ans pouvaient croire qu’ils réussiraient à s'opposer à la machine de guerre US. L'Irak n'est plus, depuis des années en état de menacer réellement ses voisins et ses réserves cachées d'armes de destruction massive (chimiques ou biologiques) ne semblent plus guère opérationnelles. La disproportion entre les forces de la coalition anglo-US et celles de l'Irak était telle qu'elle ne pouvait signifier que le massacre des troupes et surtout des civils irakiens car il est évident que les bombes même qualifiées d'intelligentes dans l'espoir de les humaniser et dirigées par GPS ne frappent pas toujours à l'endroit programmé par les stratèges militaires. Les combats à Bagdad l'ont bien montré : même la garde prétorienne du régime n'a pas offert de véritable résistance après les bombardements intensifs auxquels elle a été soumise. En prévision de ce qui se passe aujourd'hui, on ne pouvait que soutenir les initiatives diplomatiques prises avant l'intervention militaire par une partie des pays européeens entraînés par la France et l'Allemagne pour un règlement pacifique du conflit. Les Nations Unies et l'Union européenne sont les grands perdants de cet affrontement diplomatique. Le conseil de sécurité des Nations Unies a été finalement incapable de s'opposer à une volonté unilatérale et n'a pas pris position depuis le déclenchement des opérations militaires. L'exclusion de l'ONU du champ international apparaît comme un objectif implicite de cette guerre.

Une question angoissante se pose aujourd'hui à tous les observateurs : après l'Afghanistan, l'Irak, où s'arrêteront les USA dans leur gesticulation militaire ? Voudront-ils mettre au pas la Syrie, l'Iran, les autres états « voyous »  de la région ?

“Les ressources économiques, militaires et idéologiques limitées des Etats-Unis ne leur laissent d'autres possibilités pour affirmer leur rôle mondial que de maltraiter les petites puissances. Il y a une logique cachée dans le comportement apparent d'ivrogne de la diplomatie américaine. L'Amérique réelle est trop faible pour affronter autre chose que des nains militaires. En provoquant tous les acteurs secondaires, elle affirme du moins son rôle mondial ” écrit Emmanuel Todd1.

L'Empire semble conscient de son déclin. Depuis l'arrivée de Georges W. Bush à la présidence, il tente de restaurer sa prééminence dans les domaines économiques et technologiques. Les initiatives prises par Washington dans celui des nouvelles technologies et de l'informatique vont toutes dans le même sens : renforcer les entreprises américaines là où elles sont dominantes. Le procès contre Microsoft pour abus de position dominante et de monopole a été réglé sans trop de casse pour la firme de Redmond. Les deux plus grandes firmes informatiques américaines (Intel et Microsoft) collaborent pour la mise en place « d'une alliance pour une informatique de confiance » 2. C'est à dire développer, sous prétexte de sécuriser les PC, une architecture matérielle et logicielle qui permettra aux sociétés informatiques de contrôler les licences des logiciels utilisés sur votre machine, aux majors de vendre de la musique ou des films en ligne ou aux administrations (de l'Etat ou des grands groupes) de « classifier » les documents qui ne doivent pas tomber entre des mains irresponsables de la presse.

De plus, l'Etat fédéral va investir massivement dans la recherche et développement3, en particulier dans le domaine militaire. Un des axes majeurs va en être les technologies liées à la sécurité. Ainsi verra progressivement le jour un contrôle des droits sur la production intellectuelle, sur les brevets, assurant une rente de situation à l'industrie US. L'Amérique essaie ainsi de freiner la perte d'une grande partie de l'industrie électronique, de la fabrication des puces au profit de la Chine qui après avoir favorisé les délocalisations des grandes firmes internationales devient l'atelier high-tech du monde entier. Il est sûr que les politique économiques dans ce domaine clef des nouvelles technologies vont devenir de plus en plus agressives et que l'administration américaine va jouer de son « hyperpuissance » pour maintenir les prérogatives de ses grandes firmes. L'Europe, face à cette offensive, n'est pas dépourvue d'atouts. Elle peut faire front dans le domaine des brevets, imposant sa propre législation. Et le mouvement des logiciels libres, où l'Europe joue un rôle non négligeable, est une opportunité pour faire pièce au monopole de Microsoft.

Le 14 avril 2003

J. Vétois


1Après l'Empire, Emmanuel Todd, Gallimard, 2002

2TCPA/Palladium Frequently asked questions, Ross Anderson, (traduction française : http://www.lebars.org/sec/tcpa-faq.fr.html)

3L'Amérique fait de la recherche une machine de guerre, Le Monde, 19 mars 2003