Politiques d'entreprise, informatique et réseaux

Michèle Descolonges

Ce dossier sur les politiques d'entreprise met en évidence comment les différents outils de l'informatique, l'internet et les réseaux sont utilisés comme modèles de gestion des communications internes et externes, ou comme moyens de mobilisation des salariés ou encore comme moyens de soumettre la production à l'organisation et à la financiarisation.

La force d'entraînement de ces nouvelles politiques semble majeure. Ainsi, dans l'entretien du responsable syndical de chez Alcatel, Michel Le Doaré (interviewé par Michel Burnier à propos de « l'entreprise sans usine »), peut-on lire que les salariés prennent tardivement conscience des dommages sur l'emploi entraînés par les politiques conduites. Ou encore, l'opération internet pour tous, réalisée dans une entreprise publique, rencontre un intérêt massif. L'un des thèmes traversant les différents articles proposés dans ce dossier consiste à en comprendre les raisons : Salvatore Maugieri met en évidence que ces outils informatiques servent de support à des dispositifs de gestion, c'est-à-dire à des représentations qui s'imposent dans la vie habituelle des entreprises comme des manières de penser des processus complexes : l'action, les relations sociales, etc. Ils constituent des instruments de légitimation du management, mais aussi des moyens de ré-assurance de celui-ci, lui permettant notamment de traiter sans délai les perpétuels aléas.

Dans l'opération 2Lurlmailto:Net@tous , analysée par Michèle Descolonges, on comprend que la mobilisation de l'intérêt des salariés en faveur d'outils représentant la modernité et livrés à coûts réduits, est un lien ténu entre ceux-ci et les dirigeants de l'entreprise - en dépit de relations débarrassées des « corps intermédiaires » que ces derniers tentent d'instaurer. Mais il n'est pas certain que l'adhésion des salariés-consommateurs garantisse un accord des salariés-subordonnés sur les orientations de l'entreprise.

C'est, en effet, à un nouveau modèle d'entreprise, fondé sur les services et la communication, que nous serions conviés. Un essai de définition de celui-ci traverse les quatre articles :

Selon Guy Lacroix, l'internet qui avait encouragé le développement d'un modèle de coopération entre chercheurs, trouverait en entreprise une nouvelle postérité, en favorisant l'innovation, grâce à un encadrement des processus via les machines. De ce point de vue, le knowledge management, représenterait une perspective prometteuse sur le plan conceptuel, parce qu'il unifierait des processus de rationalisation issus d'une informatique intégratrice avec une prise en compte des mécanismes de l'innovation.

Mais, écrit Michel Burnier, en avant-propos de l'entretien de M. Le Doaré, il n'est pas certain que les sociétés « intellectualisées » - fondées sur le concept d'externalisation-décentralisation-reconversion - aient, davantage que les autres, la possibilité de capter des marchés. Par ailleurs, en faisant « commerce d'elle-même », l'entreprise engendrerait davantage de problèmes humains qu'elle n'en réglerait.

C'est ainsi par des actions régies par l'opportunité et le mouvement, et non par des règles stables, que la distribution de biens informatiques à moindre coût (« internet pour tous ») pourrait représenter une « innovation sociale », selon les employeurs, écrit Michèle Descolonges. La logique de la « responsabilité sociale des entreprises » en fournirait le cadre.

S'il existe un nouveau modèle d'entreprise, il s'imbriquerait - voire, se dissoudrait ? -dans des manières de voir et de faire existants, et renforcerait « l'arsenal stratégique » des individus et des groupes. Salvatore Maugieri en appelle à « l'irréductibilité » et l'hétérogénéité des mondes sociaux, suggérant qu'un fossé se creuse entre les salariés et des managers condamnés à l'innovation.

En dépit de l'entretien avec un responsable syndical d'Alcatel et une indication des interrogations d'organisations syndicales à propos d'une opération « internet pour tous », les convictions, hésitations et postures adoptées par les organisations syndicales sont ici trop rapidement esquissées : il resterait à les approfondir, à partir de cas précis. Tout comme il conviendrait de revenir sur les raisons pour lesquelles les réseaux semblent secourir un « ordre social en crise », propose Guy Lacroix.