Ralentir la communication A propos de 'L'art du moteur' de Paul Virilio Jean-Louis Weissberg

Une inquiétude s'amplifie. Et si les techniques de simulation, de télétransport allaient trop vite et trop loin ? L'accélération nous laisserait alors littéralement sans place, hors lieu et hors temps, hébété par ce dérèglement perceptif. Des voix éparses semblent désormais s'accorder pour nous appeler à un sursaut face à une menace de désensibilisation, de déréalisation et finalement de désagrégation du lien social. Ce n'est certes pas la première alerte de ce genre. Mais le concert actuel a ceci de particulier qu'il est contemporain d'une incontestable accélération des recherches dans le monde des technologies d'information/communication, mais aussi d'une accentuation de la pénétration quotidienne de la numérisation (fax, communication mobile, hypermedia, réseaux à hauts débits, photographie digitale en attendant la télévision numérique et les réalités virtuelles au foyer). La coexistence de cette inflexion constatable et des discours d'alerte crée une situation, en partie nouvelle, qui appelle réflexion. Le dernier livre de Paul Virilio (interviewé dans la dernière livraison de Terminal (1)) est symptomatique d'un climat qui se répand et qui n'est pas sans dangers. Si, comme le pense l'auteur, les technologies de représentation sont fondamentalement déréalisantes, et si cette déréalisation est en passe d'emporter ce qui constitue notre humanité, alors une seule attitude s'impose : le rejet et la dénonciation. Attitude globalisante, finalement économe d'efforts de discernement, présupposant que tous les mouvements à l'œuvre obéissent à une même logique. Nous est ainsi évité d'avoir à y regarder de plus près, de distinguer et surtout de juger les principes selon lesquels les propositions doivent être privilégiées, infléchies ou rejetées. Car nul besoin non plus de dissimuler les dommages et pollutions causés par le développement de la communication moderne, des mass medias et des techniques modernes de gestion sociale. Il y a tout de même de graves inconvénients à ne considérer la modernité que sous l'angle de la régulation systémique et de l'effacement de l'expérience personnelle et collective.
Dans ses derniers livres consacrés aux enjeux perceptifs des technologies (2), P. Virilio nous décrivait la catastrophe en cours avec une certaine jubilation. Certes, les perspectives étaient sombres : la vitesse nous rattrapait et abolissait les horizons du progrès. Mais une fascination, à peine dissimulée, parfois même franchement revendiquée, jouxtait l'annonce du désastre "dromologique".
L'éloge discret des charmes de la télétopologie, comme une sorte d'extase de la glaciation techno-scientifique, une jouissive paralysie devant la disparition d'un monde ("Esthétique de la disparition", avait écrit le dromologue, comme il aime à se nommer) a fait place à l'annonce quelque peu angoissée de l'atteinte d'un point de non-retour. Lorsqu'on referme "L'art du moteur", le dernier livre de P. Virilio, aucun doute : cette fois-ci, nulle trace d'admiration coupable entre les lignes.
Ce climat d'alerte est présent, à divers titres, dans la littérature contemporaine traitant des technologies numériques. Une thématique récurrente les parcourt, pronostiquant une substitution dont nous menacerait la simulation informatique. Il n'est pas dans mon intention de passer en revue les multiples manifestations de ce pronostic, mais d'en recueillir quelques exemplaires caractéristiques.
P. Quéau jubile en nous décrivant le nouveau "village virtuel planétaire" (comme jubilait, lui aussi, l'auteur de la formule "village planétaire", M. Mac Luhan). Consterné, en revanche, P.Virilio diagnostique la "défaite des faits" devant leur simulation. Mais ils sont d'accord sur un point : les faits sont réellement en passe d'être détrônés de leur statut de référence ultime. P. Quéau : "Dans l'expérience japonaise "Habitat", on peut se mettre des masques, comme à Venise, et circuler dans un "village" virtuel qui comprend quatre cents "mondes" tous reliés. Cela devient une communauté où se créent des histoires, des amours et des meurtres, dans une "néoréalité" à laquelle les gens finissent par croire (souligné par nous)." (3)
Il serait malhonnête de résumer ainsi les travaux de P. Quéau qui nous appelle, par ailleurs, à accueillir le virtuel comme une nouvelle dimension de la présence, mais l'énoncé de ces maléfices prêtés à l'ingénierie virtuelle est d'autant plus remarquable que leur appréciation générale par l'auteur n'est pas essentiellement dénonciatrice.
Même E. Couchot, dont on ne saurait soupçonner une agressivité de principe à l'égard des nouvelles technologies, nous prévient d'"un autre risque, celui d'une dissolution extatique du sujet dans ces mondes virtuels d'où l'on risque de ne pas vouloir revenir" (4)
Quand P.Quéau se livre aux délicieux vertiges du virtuel, P. Virilio invoque, pour sa part, une perte irrémédiable du sens. Ce consensus sur la "déréalisation" mérite d'être inquiété. Nous allons tenter d'indiquer pourquoi en procédant à un réexamen de quelques questions majeures. Les affirmations suivantes résument les étapes essentielles de ce parcours critique :
- Nos références ne sont pas annihilées par les nouveaux transports télétechnologiques.
- Le virtuel ne remplace pas le réel mais s'y mélange.
- Comme toutes les technologies, la réalité virtuelle exerce un effet retour sur nos perceptions.
- Il est impossible d'imaginer un état naturel, pré-technologique, de la communication.
- On peut observer de sérieuses limites à la cybernétisation sociale.
- Enfin la crise de la culture de flux fait émerger une logique qui tend à ralentir la communication.

"La terre ne se meut pas"

Virilio envisage que, asservis par l'imagerie instrumentale, nous soyons privé de la liberté de nous faire "une quelconque imagerie mentale" et que les CYBER-ESPACES en cours d'élaboration menacent de : "...rompre l'unité de perception de l'homme et de réaliser de manière AUTOMATIQUE cette fois, la permanence d'un trouble de la proprioception qui affectera durablement son rapport au réel (souligné par nous)." (5) Que signifient ces menaces ?
"La terre ne se meut pas" écrivait Husserl (6). Il ne niait pas pour autant la relativité du mouvement ni le déplacement de notre planète dans l'espace, mais affirmait que la notion même de mouvement présuppose un sol originaire immobile, à partir duquel nous constituons l'expérience du mouvement. De la même manière, l'instrumentalisation et l'appareillage de notre perception ne supprime pas nos référents empiriques (il est toujours suspect d'analyser la communication en voulant dissiper le piège des apparences. Les apparences ne sont pas un piège. Elles sont ce par quoi l'ordinaire de notre présence au monde se règle : le sens commun, comme la constitution culturelle du regard. Le virtuel participe à ce mouvement construisant la réalité).
Il y a lieu de penser l'extraordinaire flexibilité de notre équipement mental qui nous permet de jouer simultanément plusieurs partitions : être transporté dans un récit tout en percevant en arrière fond, subliminalement, qu'il s'agit d'un transport. On se divise pour occuper plusieurs places, quasi-simultanément : être dans la peau du cow-boy, traîtreusement attaqué par derrière, mais aussi sur un fauteuil, derrière la femme au chignon proéminent qui nous empêche de voir l'écran lorsqu'elle se redresse, tout autant à l'extérieur de la salle, avec la crainte que le pare-brise de la voiture, mal garée à l'extérieur, n'accueille une contravention, et encore dans le souvenir d'un rêve, etc. Si donc cet alternance/chevauchement de vies est l'ordinaire de notre présence au monde, comment imaginer qu'une forme technologique particulière, fût-elle immersion sensorielle dans un monde virtuel (ce qu'on fait de mieux aujourd'hui en matière de "déréalisation") puisse affecter fondamentalement notre capacité à fabriquer des images mentales, puisse nous faire confondre actuel et virtuel, information et matière, réel et idéel, expérience et récit, simulation et réalité. Notre simulateur mental outrepasse tous les effets enviseageables de l'imagerie instrumentale.

Le goût de l'illusion.

Platon définit l'art comme "mimesis", imitation qui porte en elle les traces de son statut d'imitation. La copie qui se confondrait avec l'original ne pourrait provoquer cette conscience de l'effet de ressemblance. En défendant la non-coïncidence de la copie avec l'original, Platon sauvegarde un autre rapport possible avec l'original, plus essentiel, la vérité "idéelle" de la chose. On peut aussi objecter que la copie ne peut jamais se confondre avec l'original, du moins si l'original est unique. Dans ce cas, la simple duplication altère irrémédiablement l'unicité propre à l'état initial, celui d'avant la copie (problème à la source du fameux texte de W Benjamin (7)). La copie ne peut copier l'original, elle le prolonge, le traduit, le réinterprète. Et si l'on quitte le domaine des arts graphiques ou même de l'esthétique, cadre dans lequel cette question a le plus souvent été posée, et qu'on s'intéresse à la fonction duplicatrice des média et de la technique, l'impossibilité d'une correspondance entre la copie et l'original apparaît plus nettement encore (concernant les médias et les techniques de représentation, l'original c'est notre monde). Au delà de la question morale (doit-on fabriquer des copies), à côté de la question opérationnelle (peut-on fabriquer de bonnes copies), on doit poser la question intentionnelle : d'où vient l'envie de croire en de bonnes copies ? On peut légitimement s'interroger sur ce goût pour l'illusion : une quête d'illusion, elle même illusionnée. Illusionnée, car personne ne confond et tout le monde veut confondre.
Comment donc expliquer l'extraordinaire facilité avec laquelle nous admettons qu'il puisse y avoir risque de confusion entre la copie et l'original, entre la réalité et sa représentation ? Pourquoi jouons-nous si volontiers, à rebours, le jeu du sophisme ? Pour preuve, ce qui est devenu le mythe fondateur du cinéma : l'effroi des premiers spectateurs voyant, sur l'écran, la locomotive se précipiter sur eux en entrant dans la gare de La Ciotat. Pourquoi croire à ce mythe ? (Récit fort discuté depuis, mais ce qui compte n'est pas cette discussion. Même si on prouvait qu'aucun spectateur n'a été vraiment effrayé, le mythe n'en aurait que plus de force (8). Il nous plaît probablement de croire à un autre monde. Nous faisons des efforts désespérés pour lui donner consistance. Toujours déçus des résultats, toujours prêts à voir se solidifier nos espoirs dans de nouvelles tentatives. D'où l'hypothèse inverse : jamais on n'a vraiment cru, plus d'un instant, à ces artifices, trop matérialiés, trop raisonnables. En revanche, nous ne finissons pas d'inventer de nouveaux environnements "augmentant" nos sensations (comme on parle d'"augmentation" cognitive dans les recherches sur les interfaces et environnements virtuels), d'éprouver des dispositifs polysensoriels, d'expérimenter des transports immobiles. Ce qui se modifie, c'est la qualité de ces "augmentations" sensorielles et imaginaires, de la photographie au cinéma puis à la simulation informatique. D'où la notion de "moteur de réalité" utilisée par H. Rheingold : "Le CYBER-ESPACE est le résultat d'un travail coopératif (souligné par nous) entre le moteur de réalité informatique du laboratoire et le moteur de réalité du cerveau" (9).
Le "moteur de réalité du CYBER-ESPACE" ne convertit pas notre présence en absence. Il n'élimine pas l'exercice de nos actions perceptives. Il les sollicite en permanence puisqu'il relie la vision à tous les autres sens. Bref, et à la différence de la simulation visuelle pure, il installe notre corps au centre de l'expérience. L'inventivité des recherches en matière d'interfaces kinesthésiques de communication avec les mondes virtuels (gants, costumes de données, systèmes à retour d'efforts, reconnaissance vocale, analyseur du regard, etc.) le confirme nettement. La réalité virtuelle est réalité non seulement parce qu'elle est expérimentable, mais aussi parce qu'elle suppose un rapport avec la matière de l'expérience, soit comme point de départ des modélisations physico-mathématiques (molécules, flux aérodynamiques, structures architecturales, etc. (10)), soit comme médiation pour y intervenir (télérobotique, par exemple, où l'expérimentateur, à terre, manipule une clé virtuelle alors que le robot dans l'espace serre un vrai boulon). Le virtuel ne remplace pas le réel, il s'y mélange.
Lorsqu'il est question, avec les dernières prouesses des ingénieurs de la téléprésence, de "vivre" une communication à distance avec quelqu'un comme s'il était immédiatement présent, c'est-à-dire l'entendre, le voir, le toucher, ressentir l'effet de ses gestes, les mots "vivre", "entendre", "voir", "toucher" changent implicitement de registre. Croit-on qu'il pourrait s'agir d'une simple équivalence, d'une copie parfaite ? Si cela même était possible, ce serait heuristiquement moins intéressant que de nourrir nos expériences d'un nouveau registre de perceptions basé sur un enrichissement des notions de présence, de vision, de perception (dans le sillage de ce qu'ont déjà réalisé les technologies de transport des signes de la présence comme le téléphone, la télévision, etc).

L'effet retour

Admettre la pluralité des registres de perception ne doit pas nous faire oublier l'effet retour des technologies de représentation sur la perception. Il n'y a pas de forme pure de la perception, à l'écart des technologies corporelle, langagière, de l'élaboration d'artefacts instrumentaux. La construction de notre réalité est toujours "prothétique" (11). On doit penser simultanément la permanence du flux représentionnel produit par notre simulateur mental et la travail des technologies sur la perceptions. Question qui a toujours inspiré les analyses les plus fécondes, et, notamment, celles de W. Benjamin dans ses travaux sur le cinéma, de M. Mac Luhan avec sa conception des technologies comme prolongements du corps, de A. Leroi-Gourhan lorsqu'il définit l'outil comme fusion quasi zoologique de la main et du cerveau, de M. Merleau-Ponty qui, parlant du tableau nous dit : "...je vois selon ou avec lui plutôt que je ne le vois" (12). Tous sont, à titre divers, des penseurs de l'effet retour, s'intéressant non pas à ce que l'homme fait à l'instrument, mais à ce que l'instrument fait aux hommes et aux cultures qui le conçoivent et l'utilisent. Dans la tradition dénonciatrice des technologies, l'effet retour est prise comme effacement. Il annihile ce sur sur quoi il agit : il n'y a plus que des zombies, purs réceptacles de forces qui les moulent et les meuvent. D'où viennent ces forces ? Maléfices de la vitesse, ruses du ou des pouvoirs dans un jeu de renvoi infini des simulacres (Baudrillard), dans lequel le pouvoir est lui même pris.
Affirmer l'effet retour ne signifie pas substitution, imprégnation totale, effacement mais hybridation, remodelage d'un regard informé par de nouvelles expériences et qui l'a toujours été.
Quel sens aurait l'installation permanente de la réalité virtuelle, perspective parfois distillée par les chantres du mouvement Cyber-punk ? Peut-on imaginer une perte des références externes ? Poser la question, c'est y répondre. La réalité virtuelle a une valeur paradigmatique comme intervalle et non comme possibilité d'installation permanente. Merleau-Ponty évoquait le "...délire qui est la vision même, puisque voir c'est avoir à distance..." (13). Avec l'immersion dans les mondes simulés, on concrétise ce délire. La phénoménologie est une prémonition des recherches visant à synthétiser nos perceptions comme processus et comme résultats.
Ce mouvement culmine aujourd'hui avec la réalité virtuelle, puisqu'il s'agit de redéfinir, pratiquement, l'imbrication de la vision, du mouvement, du toucher dans l'expérience de mondes totalement synthétiques. Actualiser notre machinerie perceptuelle elle-même : telle est l'inspiration profonde de ces recherches. Ce qui veut dire remodelage de nos perceptions, nouveau composé "chimique" autour du mental, de l'imaginaire et non pas à sa place.
Le cinéma comme rêve, la photographie comme mémoire, l'interaction avec des univers simulés comme rêve éveillé : ainsi peut-on saisir la logique des techniques de représentation comme tentative d'inscrire le plus "immédiatement" possible les productions imaginaires (et leurs modes d'existence : déplacement, association, mutation, jeu temporel) sur des supports à la fois permanents et évolutifs, labiles, mémorisant traces et histoire des traces. Fruit du dépassement, grâce à l'informatique, du stade de l'enregistrement du passé, les réalités virtuelles sont la forme actuelle de ce processus.
Par l'imagination, la téléprésence a toujours été effective. Elle est aujourd'hui l'objet d'une tentative d'appareillage par des prothèses perceptives. Cette tentative redéfinit ce que veut dire actuel, proche ou lointain, sans pour autant annihiler nos expériences classiques de ces catégories. Le mouvement technique a toujours recomposé nos sens. Il est même équivalent à une telle recomposition si on qualifie ainsi l'extériorisation de nos fonctions cognitives et perceptives. En regard des formes "naturelles" de la communication, les technologies jouent sur deux registres mêlés :
- elles prolongent nos sens (M. Mac Luhan) par extension (microscope, télescope) ou traduction/intensification (vision infra-rouge, caméra à positrons, imagerie satellitaire ou médicale),
- elles matérialisent de nouveaux sens, parfois copiés sur ceux de l'animal, comme dans la robotique moderne (moustaches de chat, reproduction de la vision de la mouche par des réseaux neuronaux, par exemple), déplacés (la vue ou la voix à la place du geste, comme dans les viseurs "tête haute"), ou encore totalement inédits (télémètre laser).
De par cette instrumentation, notre corps n'est plus seulement inscrit dans l'enveloppe épidermique (même s'il l'est toujours). Il s'est dédoublé dans le corps social. L'effet extensif, dû à l'allongement des chaînes de transfert de la perception, se double maintenant, avec l'ingénierie informatique de simulation, d'un effet intensif. L'hybridation du réel et du virtuel et l'incorporation de subjectivité dans les objets qui en résultent étendent encore plus le corps social. Il ne s'agit pas d'une quête visant à nous délivrer du corps, comme beaucoup d'analyses sur les messageries, réseaux et communautés virtuelles l'ont laissé entendre ; pas plus d'une colonisation technologique (14).
Il faut donc éviter cette simplification douteuse du débat. Oui, la virtualisation ouvre à de nouvelles interrogations. Oui, il y a lieu de repenser à nouveaux frais l'opération de la simulation sur la perception et sur la temporalité. Non, notre réalité n'est pas effacée par le virtuel. L'accélération est sans doute un nouveau monde, la réponse, nous le verrons plus loin, c'est le freinage par mutation du véhicule, et non la destruction de tous les véhicules (si tant est qu'ici le véhicule puisse être séparé du conducteur).

Un état naturel de la communication ?

Face aux maléfices des télétechnologies affleure parfois une nostalgie d'un supposé état naturel de la communication : "La communication "naturelle" exige donc une proximité audiovisuelle, des intervalles ou un territoire assez restreints, (souligné par nous) mais aussi, un nombre réduit de communicants, possédant en commun des vocalisations ou autres signaux sémantiques" (15).
L'"ici et maintenant" comme réponse aux mirages de l'imagerie virtuelle, le règne technique, nouvelle dénomination de la chute originelle, tout ceci créditerait l'idée d'un état prétechnique de la communication. Comme si l'humain n'était pas toujours déjà technique, c'est à dire extériorisé, transporté. L'invention du piège par le chasseur, premier artefact automatique de l'humanité, inaugure déjà la substitution de l'homme par l'appareil. Une forme de présence à distance, un contrôle de l'espace par dédoublement présuppose et accentue cette substitution naissante. Aussi loin que porte, rétrospectivement, notre regard on ne trouve l'humain que par l'imbrication de la technique et du langage. Il ne s'agit pas d'affirmer que tout était déjà inscrit, en puissance, dans ces premiers embryons d'hybridation sujet/objet, dans ces esquisses originaires du télétransport que sont les premiers outils et les premières figurations. Mais le retour à l'état antérieur est un retour à une illusion, celle de l'homme nu face à des techniques extérieures. Pourtant Virilio conçoit parfaitement que le régime ordinaire de la communication est un fantastique dédoublement.
"Cette deuxième capacité nous permet grâce au langage (gestuel, vocal, graphique, etc.) de nous mettre à la place de cette autre personne, de voir avec ses yeux, de profiter de son système optique pour être prévenu d'un événement, nous re-présenter des êtres, des objets que nous ne voyons pas ou pas encore, et, finalement, pour agir en conséquence." (16).
Mais comment exiger alors une proximité topographique de la communication ? Le langage n'existe que dans un jeu de renvoi. Il ne lie deux (ou plusieurs) interlocuteurs qu'en référence à un troisième terme qui les surplombe : la symbolisation. La plus courte distance géographique présuppose la plus grande distance symbolique, un espace incommensurable qui englobe les acteurs : le langage, comme "tiers symbolisant".
Rien que de très banal ici, dont P. Virilio fait d'ailleurs état en rappelant que les "communiquants" doivent posséder "en commun des vocalisations ou autres signaux sémantiques" et en soulignant l'importance de "cette capacité inouïe à nous dédoubler en nous identifiant à cet alter ego" conférant à "notre point de vue un relief social naturel." (17)
On ne peut pas invoquer "le relief social naturel" en oubliant que son principe ne peut se limiter à l'échange entre deux protagonistes, et qu'il n'est possible que par référence à un relief social généralisé, le tiers symbolisant pour le langage, les formes symboliques toujours collectives qui façonnent nos régimes de visibilité, comme la perspective des peintres, le cinéma, la télévision et aujourd'hui la simulation interactive. Se mettre à distance, se dédoubler, c'est s'abstraire de l'ici et maintenant pour se laisser porter par les courants incertains du langage et de l'imagination qui sont la forme même de l'abstraction et du dédoublement.
D'où l'illusion de la proximité. Ce qui change, ce sont les modalités de constitution de l'espace social, toujours redéfini par l'effet retour des technologies.
On peut invoquer la notion de champ de forces pour le langage comme pour les technologies de transport des signes de la présence : elles polarisent l'espace, elles redéfinissent le sens de proche et lointain. L'affiliation aux réseaux valant lien, jonction, commutation. Le champ de force langagier polarise le locuteur avant même qu'il ne parle et le met immédiatement en rapport avec tous les locuteurs proches et lointains.
L'intérêt de cette notion (au sens physique de champ électrique, champ magnétique) c'est le rapport entre "l'immatériel", l'"invisible" et l'action à distance. Ce qui relie les acteurs n'est localisé ni en eux, ni entre eux, invisible (18). Mais ceci ne veut pas dire qu'il n'y a rien. Des phénomènes précis (charges électriques, par exemple) créent le champ. Il se distribue dans l'espace et manifeste sa présence en tout point récepteur (doté de capteurs spécifiques). Ceci est une métaphore des manifestations du langage et de la technique en général ainsi que des techniques de téléprésence en particulier. La notion de présence est à chaque fois "polarisée" par l'expérience pratique et culturelle : la réalité virtuelle est encore très peu répandue et pourtant c'est déjà un paradigme collectif, elle est "attendue" - et non pas réclamée - avant même son expansion sociale car elle exprime la logique actuelle de la notion de présence.

Limites de la "cybernétisation" sociale

L'une des difficultés, dans l'essai de P. Virilio, c'est l'intime mélange de vues qui emportent notre adhésion spontanée en s'adressant à une sensibilité partagée (la critique du sport-dressage, l'asservissement au "développement", l'attraction vertigineuse de la "surexcitation") d'une part et d'affirmations dont l'évidence me semble discutable de l'autre. Oui, comme P. Virilio, j'estime que le dressage sportif est symptomatique d'une tentative de motorisation du corps, contemporain de la transformation du spectacle télévisuel en décervelage illimité. En revanche, je ne crois pas que les micro-prothèses soient prêtes à envahir notre corps (l'usage de drogues, vues comme intervention technologique, c'est à dire déployant des moyens en vue d'une fin, aurait assuré une partie de la démonstration).
Je ne partage pas non plus sa manière d'envisager le rapport corps/technique (la transformation du corps en espace d'intervention technologique, la maximisation du potentiel humain, la "motorisation" telle que la préconisait les futuristes, "la grande santé" du surhomme nietzschéen). Cet éclairage recèle une tentation d'imaginer un corps naturel, pur de toute atteinte artificielle. Les analyses de Leroi-Gourhan sur l'invention de l'outil comme sécrétion quasi zoologique de la main et du cerveau offrent une perspective contradictoire à une telle tentation. Si le processus d'hominisation est coextensif à l'interpénétration du corps, de l'outil et du langage, comment pourrait-on qualifier ce processus d'inhumain ? Ou bien alors il faut situer le grain de sable qui aurait fait dérailler cette belle machine et nous aurait immergé dans une nouvelle condition "inhumaine" ?
On invoque souvent le programme cartésien (le fameux "Il faut se rendre maître et possessseur de la nature") comme source inspiratrice du mouvement de la cybernétique, entendue comme équivalence de l'humain et de la machine, qu'elle soit naturelle, sociale, biologique, ou artificielle sous les espèces du "systémisme". Mais ce projet a clairement échoué (même si les retombées de cette folle entreprise sont d'une richesse inégalée : l'informatique, l'Intelligence Artificielle, la biologie moléculaire, la théorie de l'information et de la communication, la théorie des systèmes en économie (19)).
L'"intelligence artificielle" des machines de vision n'est pas prête à remplacer la vision humaine, même si elle exécute des tâches limitées de contrôle. La vision humaine ne saurait se réduire à une interprétation de signaux extérieurs puisque, pour nous, voir est essentiellement un acte de pensée. Notre vision suppose l'invisible, la délimitation, l'incorporation mentale de distances illimitées. On voit plus avec notre mémoire, et donc avec l'expérience vécue qui en est le substrat, qu'avec nos yeux (20). C'est notre rapport au monde, passé et actuel, qui est engagé dans un simple coup d'œil. On voit mal, c'est le cas de le dire, qu'un automate puisse agir sur ce registre.
De la même manière, l'accès au sens commun est une limite que les compétences des "cerveaux" artificiels de reconnaissance du langage ne dépasseront pas dans un avenir prévisible, et probablement jamais. Ce qui constitue une limite absolue à "l'asservissement cybernétique de la pensée" (21). Ceci n'empêche pas, par ailleurs, que des systèmes-experts puissent être de puissants outils de dissémination des savoir-faire déjà constitués.
La création d'un système artificiel dont l'autonomie voisinerait celle de l'humain, perspective fondatrice de la cybernétique, n'a même pas été approchée. Cinquante ans plus tard, alors que les technologies disponibles sont incomparablement plus riches, les tenants d'un tel projet voient leur nombre se restreindre d'année en année.
Par ailleurs, le contrôle social systémique ne fonctionne pas aussi bien qu'on le dit, ou qu'on le croit. L'accident, le détournement, le dérèglement, l'irruption intempestive de l'imprévu sont l'ordinaire du milieu technique. Plus que l'accident, vu comme retour du refoulé, vengeance ou négativité "naturelle", l'insuccès est riche d'enseignements. Ce n'est pas une négativité, mais un défaut, un manque, une absence, voire une limite dont l'activité techno-scientifique est coutumière (comme dans le projet d'une "intelligence artificielle" généraliste). Il ouvre au soupçon d'une surévaluation du pouvoir des techniques et des medias dans les pensées critiques de la technologie. On ne prête qu'aux riches sans doute, mais attention de ne pas surévaluer la richesse (22).

Ralentir la communication

Comment penser un espace public sans retard, sans distance ni durée pour les parcourir ? Cet espace public, peut-on le résumer, comme le fait Virilio, par la formule de l'"immédiatement" proche, l'appréhender dans une topographie où tous les points sont en contact direct ? Constat d'agonie de l'espace public lui-même, qui n'existe que par ces formes permettant la temporisation et donc le retour sur l'événement.
Etre représenté, politiquement, c'est accepter d'être transporté à distance, incorporé dans une instance qui agit en mon nom : l'élu, la nation, la puissance publique, la loi. Le corps royal est le corps social, le corps républicain ne peut se passer d'une opération de compactage, de rassemblement en un point unique de forces éparses et disparates, unifiées par le processus même de l'élection. Chacun y concède une dépossession, une extériorisation, et y gagne en même temps un principe d'unification, de comparaison généralisée où chaque voix s'équivaut : le suffrage universel.
Comme le dit P. Rosanvallon : "Lorsqu'on discute de la représentation, on se limite beaucoup trop à une analyse de la façon dont le sytème politique trahit ou, au contraire, traduit les opinions de la majorité. Mais en fait, la représentation a aussi pour fonction d'aider la société à se connaître elle-même" (23). Fonction technique (le mandat), mais surtout fonction symbolique (la mise à distance, le "différement", ajoutons le freinage). Les télétechnologies, comme transport à distance des signes de la présence, sont contemporaines de ce régime classique de la représentation. Que devient-il au moment où je peux me dédoubler, non pas symboliquement dans le processus d'élection, mais pratiquement dans la téléprésence ? Je suis ailleurs tout en étant ici. Mais je n'ai pas quitté ma place. Mon double est moi et autre à la fois (24). La réponse n'est pas à chercher dans les expériences de démocratie télématiques qui suppriment le moment de la confrontation collective critique. On peut certes invoquer, comme le fait R. Debray (25), une dépolitisation fondamentale produite par la spectacularisation médiatique de la politique elle-même. Adaptée à l'ère télévisuelle, cette interprétation l'est moins à celle de la téléprésence qui véhicule, sans doute, un autre régime de la représentation politique. Peut-être faut-il imaginer de nouvelles formes de participation politique qui tireraient leurs moyens de l'univers de la simulation lui-même : expérience simulée de conflits, de scénarios socio-économiques, démographiques, écologiques. Là encore, l'horizon de telles propositions n'est pas essentiellement de proposer un modèle totalement alternatif à la démocratie représentative, mais de l'enrichir par d'autres expériences.
Diagnostiquer un danger de "mise en surface" généralisée et le rapporter à "l'urgence des techniques du temps réel, qui infiltre désormais l'ensemble de la communication de masse" aboutit à délaisser un pan entier de la communication actuelle : le différé propre à la diffusion élargie des automatismes informatiques, qui obéissent à de toutes autres logiques que celles du différé de l'enregistrement (présentation actuelle d'un passé capturé). Le critique de la vitesse fait la même opération que R. Debray, avec son concept de "videosphère" (26), cumulant dans la même analyse l'audiovisuel classique et la "vidéo-informatique". Or les logiques de ces deux univers sont essentiellement disjointes : culture de flux pour le premier (permanente, "immédiate", en direct, oubli tendanciel de soi par absorption dans les circuits) et culture de l'exploration pour le deuxième (navigation dans des univers de données nécessitant une durée, exigeant une implication permanente et des intentions). Ce différé, peut-être faut-il l'appeler présenciel par opposition à la culture du temps réel (radio, télé) est une culture de l'absence à soi, de l'évanouissement, d'une assistance à la fuite.
Ralentir la communication n'est pas qu'un mot d'ordre revendicatif. Plus qu'un projet volontariste, car en la matière il en est peu d'efficients, il s'appuie sur l'évolution même des technologies de représentation, qui, après avoir épuisé les ressources de la vitesse de transmission, commencent à subir l'effet de la contradiction entre le temps disponible et la multiplicité des flux. Un exemple : il y a au Louvre 365,000 dessins, peintures ou reproductions. Les éditer sur un support optique ne pose que des problèmes, à terme résolubles, de coût. Mais comment accéder à cette masse documentaire considérable ? La navigation guidée par un expert ralentira obligatoirement le trajet.
J'ai tenté de montrer, dans un article précédent (27), comment la télévision, rongée par les promesses non tenues, commençait à subir la déliaison entre le voir et le croire, ainsi que l'atteste de récentes enquêtes d'instituts spécialisés. Pour la première fois, les adolescents américains ont commencé à délaisser le petit écran... au profit, il est vrai, d'un plus petit encore : les "video-games". On peut discuter le gain ou la perte "culturelle", mais ignorer qu'il s'agit d'un tournant équivaudrait à prendre l'installation, par S. Morse, de la première ligne électrique de transport instantané de l'information, en 1838, entre Baltimore et Boston, pour une expérience comme une autre.
Les techniques de traitement de l'information (à opposer aux techniques de communication) freinent naturellement la communication en ce qu'elles privilégient le pôle local et redonnent consistance à une temporalité singulière. Les jeux vidéo d'aventure, par exemple, recèlent un autre rapport spatio-temporel, en rupture avec la culture de flux puisqu'ils supposent l'arrêt du flux et le retour sur soi. Il faut donc différencier, dans la structure de l'espace public, les fonction réseau temps-réel (compactage temporel où tous les points sont en voisinage généralisé) et les fonctions d'exportation, de mise en disponibilité de méta-outils (progiciels, navigation dans des univers de données). Le préfixe "hyper", accompagnant la génération éditoriale actuelle (hypertextes, hypermedias) désigne une autre idée de la distance, la profondeur informationnelle. Elle exige du temps pour la parcourir, car ce n'est pas une surface sur laquelle on peut glisser mais un espace opaque qu'il s'agit de découvrir.
Préconiser le ralentissement de la communication n'est donc pas seulement un antidote à la propagation virale de l'information venant se substituer à l'événement. C'est un processus qui se nourrit de puissantes contradictions actuelles. La cybernétique a thématisé simultanément l'information et la communication. L'information c'est le pôle inertiel, pesant, localisé alors que la communication, définie comme comportement d'échange d'informations, représente le pôle transport, délocalisation, relatif à l'environnement. L'effet majeur de l'informatique est la diffusion sociale généralisée de l'automatisme comme principe. Elle ne simplifie pas (voir Simondon), elle complexifie. L'automatisation, c'est un compactage temporel dont l'usage exige un décompactage qui prends du temps, comme lorsqu'on ouvre un paquet : la durée de l'opération est en rapport avec la valeur escomptée.
Le moteur énergétique, lui, diffuse la vitesse. Mettre l'énergie à disposition, la métaboliser pour la rendre mobilisable loin de sa source, c'est "raccourcir" le temps. Pas supplémentaire vers le temps réel, les réseaux électriques allongent les chaînes de transmission et convoient l'immédiateté.
En revanche, le mouvement d'automatisation, fondamental dans nos sociétés, appelle reconsidération. Il a en effet trop souvent été désigné comme synonyme d'immédiateté. Or l'inertie, la pesanteur propre à l'échange qui dure, fait retour à travers l'automatisation du traitement de l'information. L'automate cristallise de l'humain, le condense et le fait voyager ("mobile immuable" selon B. Latour (28)). Il invite à une réception attentive. L'automate ne fonctionne jamais seul, il exige une installation, une scénographie (exemple : utiliser un ordinateur, un logiciel, ou même un jeu vidéo). Il ne s'adresse pas directement à nos sens (entendre, voir), ni seulement à notre sens commun (comprendre des énoncés). Tributaire d'une présence, il met en rapport l'actuel et le futur par engagement dans un projet, aussi minimal soit-il. Il véhicule un "différement" originel, constitutif. L'information traitée automatiquement est tributaire de cette genèse. Elle ne fait jamais directement surface, par simple affiliation aux réseaux. Elle ne va pas de soi (29). L'automatisation se substitue aussi bien à des segments d'activités humaines (avec la robotique industrielle, par exemple), mais elle ne les remplace jamais totalement. Elle les déplace en amont et en aval (conception, entretien et surtout dépannage, toujours dans le même exemple).
P. Virilio considère la substitution du réel par les signes du réel comme en passe d'être achevée. Alors qu'il ne s'agit que d'un mouvement sans fin, recréant derrière lui ce qu'il absorbe devant. La vitesse absolue des technologies du temps réel ouvre la voie à une autre structure de la communication qui la ralentit. "Là où est le danger, croît aussi ce qui sauve", écrivait Hölderlin.

Notes

  1. Interview par Guy Lacroix, Terminal N° 62.
  2. Voir en particulier La machine de vision, Galilée, 1988 et L'inertie polaire, C.Bourgois, 1990.
  3. Débat entre Jean-Claude Carière et P. Quéau, Les conteurs face aux "nouveaux mondes" de l'image, Le Monde Radio-Télévision, 28 et 29/11/93. D'autres propos de l'animateur d"'Imagina" confirment cette tendance, comme : "S'il faut admirer les performances de la "téléprésence", qui nous permet de garder les mains propres en contrôlant à distance drônes (clones virtuels, NDR) et robots, on ne peut s'empêcher d'évoquer le danger d'une schizophrénisation croissante." dans Le virtuel, Champ Vallon/INA, 1993, p. 99
  4. Des outils, des mots et des figures, in Réseaux N° 61, CNET, 1993, p.45.
  5. L'art du moteur, Ed. Galilée, Paris, 1993, p. 186 et 187.
  6. Titre d'un livre paru aux Editions de minuit, Paris, 1989.
  7. "L'œuvre d'art à l'ère de la reproductibilité technique", in L'homme, le langage, la culture, Denoël-Gonthier, Paris
  8. Voir aussi la place que réserve S. Daney à cet épisode, l'érigeant en vérité du cinéma.
  9. La réalité virtuelle, Dunod, Paris, 1993, p. 192; Le terme de moteur doit être pris ici dans le sens, non pas de source d'énergie, mais de "créateur". On peut faire sienne cette métaphore en soulignant qu'il n'y a pas d'intentionnalité déposée dans le "moteur/cerveau", à la différence de tous les autres moteurs. Dans la citation qu'en fait Virilio, ce moteur est devenu synonyme de perte de foi perceptive, alors que le terme "coopératif" induit une idée d'hybridation plus que de substitution.
  10. La simulation numérique d'expériences se heurte, dans le domaine de la mécanique, par exemple, à de sérieux obstacles. En exagérant à peine, on pourrait dire que la prédiction de comportement d'un objet est bonne lorsqu'on connaît déjà bien son comportement réel. S'il s'agit de formes ou de matériaux inédits, une série d'allers/retours entre les expériences réelles et simulées est nécessaire.
  11. Voir à ce sujet les travaux de B. Stiegler, et, en particulier La technique et le temps, Ed. Galilée, Paris, 1994.
  12. L'œil et l'esprit, Gallimard, Paris, 1964, p.23.
  13. Op. cit., p.26.
  14. C'est sans doute le corps "phénoménologisé" de Husserl, Bergson ou Merleau-Ponty qui offre la meilleure saisie de ce mouvement.
  15. L'art du moteur, p. 20
  16. loc. cit.
  17. Op. cit., p. 21
  18. D'où la théorie substantialiste de la vision, dominante dans l'antiquité. Elle est basée sur le "rayon visuel" qui, émis par l'œil, ausculte à distance les objets et l'informe en retour de leur constitution. Voir à ce sujet, G. Simon, Le regard, l'être et l'apparence dans l'optique de l'Antiquité, Le Seuil, Paris : 1988.
  19. Voir sur cette question les travaux du C.R.E.A., et en particulier de J.P. Dupuy in Histoires de cybernétique, Cahier N° 7, Nov. 1985.
  20. Dans un acte de vision, l'information extérieure acquise par nos yeux ne représente que vingt pour cent, environ, de celle traitée par le cerveau. Voir aussi Le courrier du CNRS, N° 79 "Sciences cognitives" et en particulier l'article de S. Thorpe et M. Imbert, La dynamique du traitement visuel, p. 42.
  21. L'art du moteur, p. 182
  22. D'où vient, par exemple, le pouvoir attribué aux medias ? Cette attribution est sans doute le seul pouvoir dont ils peuvent se targuer. L'illusion répandue sur le quatrième pouvoir conforte à son tour les medias dans leur entreprise visant à devenir ce quatrième pouvoir. Ce à quoi ils échoueront toujours, car leur légitimité est fondée sur une audience qui demande à être confirmée en permanence et non pas sur une délégation qui leur est accordée (comme elle est accordée à l'exécutif, au législatif et au judiciaire). Or rien n'est plus versatile qu'une audience, même si (et peut-être surtout si) on essaie de produire un miroir parfait de ceux que l'on "cible".
  23. Le Monde, 14/12/93, p.2
  24. Il y a là un élément dissolvant du projet d'une démocratie "transparente". L'affaiblissement en cours du grand public des media de masse au profit d'un multiplicité de cibles peut être considéré comme un signe de diffraction des repères dans une espace social privé de grands centres diffuseurs, pourvoyeurs de références. Voir, à ce sujet, D. Wolton, Medias, nouvelles techniques de communication et l'éternelle idéologie techniciste; in Communication et lien social, Ed. Descartes et cité des Sciences, Paris, 1992, p. 76/77.
  25. Vie et mort de l'image, Gallimard, Paris, 1992.
  26. Op. cit.
  27. Des "reality - shows" aux réalités virtuelles, in Terminal N° 61, Automne 93, L'Harmattan.
  28. Voir notamment Les "vues" de l'esprit, in Culture technique, N°14, 1985.
  29. On pourrait conduire la même analyse sur le développement de la simulation numérique comme détour temporel entre le projet et l'objet. Alors qu'on a coutume d'insister sur le raccourcissement des délais de conception, il y a lieu de prendre en compte l'intensification des exigences et la multiplication des tests qui en résulte. Le nouvel espace intermédiaire d'expérimentation numérique est gourmand en temps de calcul.