Edition scolaire : libre diffusion, libre contenu


Jacques Vétois

Le cycle Education du salon Solutions GNU/Linux 2003 au CNIT La Défense, organisé par le SCEREN-CNDP1, avait cette année pour thème central “Vers une banalisation des solutions libres dans l'Education Nationale”. Rien de très nouveau, direz-vous. Effectivement, les solutions libres sont reconnues en tant que telles dans de nombreux secteurs et les universités. Les laboratoires de recherche y font largement appel et contribuent à leur développement. Pour l'enseignement scolaire, l'accord-cadre signé en octobre 1998 par le Ministère de l'Education nationale et l'AFUL2 a en quelque sorte “ouvert le bal”. Depuis cette date on a enregistré des développements significatifs du côté des serveurs et des infrastructures logicielles, les intranets des établissements scolaires par exemple, mais aussi, depuis le début de la présente année scolaire, plus que des frémissements pour le poste de travail, avec notamment la suite bureautique Open Office ou la Débian Education. Parmi les raisons et les enjeux de ces évolutions figurent des considérations légitimes relatives aux économies non négligeables pour les budgets informatiques, ou aux problématiques de la libre diffusion de la connaissance.

Mais, pour une part, il y a compatibilité entre l'approche du logiciel libre et celle de la production de ressources pédagogiques. Et de fait un mécanisme s'est enclenché, qui “bouscule” sérieusement les conditions de leur production. Traditionnellement, on peut distinguer parmi celles-ci les manuels scolaires d'une part, dont les auteurs sont les enseignants, mis en forme et corrigés par des maisons d'édition, et les vidéos, films, logiciels, oeuvres multimédias d'autre part, fruits de la collaboration de services spécialisés de l'Education nationale, de laboratoires, d'enseignants et d'entreprises privées. Les manuels scolaires, malgré leur évolution, ont tendance à être moins utilisés par les élèves et se transforment un peu en “livres du maître”. L'ordinateur avait déjà apporté les outils de fabrication et de mis en page des documents ; Internet permet à tout un chacun de les publier, de les mettre en ligne et de les diffuser à ses collègues. Nous sommes loin techniquement de l'imprimerie des méthodes Freinet et pourtant, tous les outils sont disponibles pour faciliter une pédagogie active et moins livresque.

Dans ce domaine, les logiciels libres apportent plus que des outils gratuits et de qualité : à l'instar des projets libres, ils ouvrent la voie à des collaborations entre enseignants, certains programmant, d'autres fournissant des contenus disciplinaires voire des idées nouvelles sur le plan pédagogique, d'autres enfin mettant en oeuvre dans leurs classes les produits ainsi élaborés. Mais ce schéma idyllique se heurte évidemment à des réalités plus contraignantes comme les droits de la propriété intellectuelle et à des résistances de la part des acteurs traditionnels de l'édition scolaire et universitaire.

Ce dossier veut mettre en évidence les contradictions de la situation présente où l'on assiste à la fois à une offensive menée par les éditeurs de logiciels “propriétaires” et des maisons d'édition sous la bannière de la défense du droit de la propriété intellectuelle et à la multiplication d'initiatives et de projets de la part des enseignants, certains soutenus par l'Inspection générale et des collectivités locales.

Jean-Pierre Archambault souligne la recomposition du secteur de l'édition scolaire numérique et s'interroge sur les effets de la “bulle juridique” (droits de la propriété intellectuelle, copyrights, brevets, droit des marques) sur le développement de la connaissance et de sa transmission aux générations futures. Pour lui, il y a un enjeu important autour des questions de la propriété intellectuelle et du savoir, conçu comme bien commun et inaliénable de l'humanité, et les pouvoirs publics ont un rôle de première importance à jouer.

Jean-Michel Dalle joue les iconoclastes en proposant la création de “napster éducatif” au sein des communautés d'enseignement comme communauté d'auteurs pour une création numérique coopérative inspirée techniquement du système d'échange de musique qui défraya la chronique médiatique. Un exemple de tel espace public de coopération pédagogique nous est donné par Sébastien Hache avec Sesamath, association qui veut “organiser les ressources gratuites et libres d'accès créées par les professeurs de terrain : textes de devoirs, fiches d'exercices, applications ...) et les rendre visibles sur Internet”. Yves Potin, quant à lui, nous informe sur la Débian Education, issue des travaux d'un groupe du SCEREN, réalisée par la société Logidée et financée par le Conseil Général de Seine et Marne.

Naturellement, les pays en voie de développement suivent ces expériences de près car c'est une façon pour eux d'accéder à certains travaux développés dans les Pays du Nord et aux ressouces pédagogiques permettant de lutter contre le manque de formation et de répondre aux besoins pressants en cadres techniques et scientifiques. Moukoko Priso nous parle de la situation au Cameroun, où la communauté universitaire est partagée entre son intérèt pour un accès gratuit aux flux d'information mondiaux et la protection de ses propres travaux. Dilemme que nous retrouvons dans nos pays.

Répondant en quelque sorte à cet appel, la “Budapest Open Access Initiative (BOAI)” milite pour un libre accès aux résultats de la recherche et Hélène Bosc nous décrit le système imaginé par la BOAI : l'argent des collectivités publiques doit servir à subventionner des Archives ouvertes et les nouvelles publications électroniques en libre accès au lieu de payer deux fois des maisons d'édition privées. La transition entre le système actuel des revues papier est assurée sous la forme de paiement de frais de publication pour les organismes de recherche qui proposent des articles à mettre en ligne.

Le débat sur la “propriété intellectuelle “ ne fait que commencer. Il est complexe et les situations sont loin d'être semblables selon les domaines. Celui des médicaments ou des semences agricoles, est plus fondamental pour l'avenir de la planète que celui de l'édition scolaire. Mais là, comme pour les logiciels libres, des alternatives concrètes au modèle dominant apparaissent.


1Mission Veille technologique

2Association francophone des utilisateurs de Linux et des logiciels libres