Cybern?tique et soci?t? : Norbert Wiener ou les d?boires d'une pens?e subversive Guy Lacroix
Dans son dernier ouvrage "L'utopie de la communication" (1) Philippe Breton affirme que nous sommes soumis aujourd'hui à une nouvelle utopie, celle de la communication, qui s'appuie sur la promotion d'un homme "sans intérieur", réduit à sa seule image, dans une société rendue elle même "transparente" par la grâce de la communication. Si la communication a pris autant de place dans nos sociétés, ce n'est pas seulement à cause de la prolifération des machines à communiquer, mais parce que, pour Breton, cette communication a été théorisée dès la fin de la Seconde guerre mondiale par le mathématicien Norbert Wiener.
Le père de la cybernétique serait le promoteur d'une utopie de la transparence qui inspirerait ce que notre société actuelle a de plus réducteur. Non pas qu'il ait été mal intentionné, il aurait au contraire conçu son utopie de la communication "comme une arme absolue contre le retour de la barbarie", estimant naïvement que "la communication effacerait le secret, qui seul rendit possible le génocide nazi, Hiroshima et le Goulag". Ce rêve généreux aurait des effets pervers dont Breton énonce les principaux traits : apologie systématique du consensus, identification de l'information médiatique à la connaissance des faits et une vision du futur étroitement déterminée par les nouvelles technologies.
Sur l'hypothèse que nos sociétés ont produit une utopie de la communication, dont certains aspects peuvent "ouvrir la voie à la violence et à l'exclusion", je n'ai rien à objecter : c'est une hypothèse forte à prendre très sérieusement en considération (2). J'applaudis également au principe d'une démarche historique tentant de retrouver les prémisses d'une idéologie et d'en suivre la cristallisation progressive. Par contre, je suis en désaccord sur le rôle de bouc émissaire qu'il fait jouer à Norbert Wiener. Sa pensée, malgré certaines ambiguïtés inhérentes à toute réflexion explorant un champs nouveau, m'apparait tout au contraire en opposition avec cette utopie d'une communication caricaturale et décérébrante que met en cause Breton (3).
Incidemment, celui-ci souligne un curieux phénomène d'amnésie collective portant sur cette période de notre histoire récente qui a présidé à la naissance, puis à l'essor, de l'informatique. Les années 1940 à 1955 (environ), ont été d'une extraordinaire richesse intellectuelle. Pourtant tous les débats qui ont eu lieu alors ont été complètement gommés de la mémoire collective. Aussi les discussions d'aujourd'hui, tant sur le plan théorique (avec la résurgence des modèles neuromimétiques en I.A) que sur le plan social (avec le chômage), reprennent-elles souvent des idées qui ont été exprimées dès le début de l'informatisation, en ignorant leurs sources.C'est un peu comme si l'histoire, étrangement, bégayait.
Pour mon propos cette amnésie est lourde de signification. Elle indique un processus de censure sociale dont la cybernétique a été une des victimes (4). L'hypothèse que je poserait ici est donc l'inverse de celle de Breton : c'est celle du caractère dérangeant de la pensée de Wiener et de sa cybernétique comme cause de leur marginalisation. L'oubli dans lequel est tombé la cybernétique pourrait être interprété comme un symptôme du pouvoir de subversion de cette science interdisciplinaire. La cybernétique, et Wiener en particulier, a posé (parfois maladroitement) un certain nombre de questions auxquelles nos sociétés n'avaient aucune envie de répondre, et elle a été neutralisée, non pas à la façon violente et spectaculaire des système totalitaires, mais de la manière feutrée et sournoise des démocraties. Aujourd'hui, si certains de ces concepts redeviennent à la mode, sous la poussée de la nécessité, peut- être est-ce aussi parce que la société a eu le temps de construire des contre-feux pour gommer la radicalité intellectuelle et sociale de l'approche cybernétique. Aussi, en attaquant Wiener, il me semble que Breton se trompe de cible, et que par là il va dans le sens du renforcement de cette utopie de la communication qu'il dénonce.
Il est évident que, rétrospectivement, on peut lire une oeuvre, surtout aussi complexe et ouverte que celle de Wiener, en y projetant ses propres présupposés. C'est la règle du genre, l'histoire est toujours sélection et reconstruction après coup d'un sens, et je n'ai pas la prétention d'y échapper. Comme il n'est pas possible en quelques pages de donner ne serait-ce qu'un résumé de la pensée de Wiener et de la cybernétique je me concentrerai sur quelques points qui m'apparaissent particulièrement en opposition avec l'utopie que critique Breton : ses positions politiques et sa conception de l'identité humaine.

La pensée politique de Wiener

Wiener avait une vision aiguë de la mutation radicale des machines, et il percevait les dangers d'une automation porteuse du meilleur comme du pire. C'est cette double conscience à la foi de la nouveauté des problèmes qui se posaient à l'humanité et de l'incapacité des sociétés à y faire face qui l'ont poussé à écrire un ouvrage accessible à l'homme cultivé "Cybernétique et société". Celui ci reprends et synthétise un certain nombre de thèses exposées dans son ouvrage précédent "Cybernétics" (5) qui posait les bases d'une discipline nouvelle, la cybernétique, en la définissant comme la science du "contrôle et des communications dans l'homme, l'animal et la machine", et il cherche à étendre ces concepts à la société. Il ne s'agit pas d'une tentative achevée, mais d'une esquisse qui combine faits scientifiques et hypothèses à partir d'un noyau méthodologique lui même en construction (celui de la cybernétique). C'est aussi un ouvrage ou s'expriment les positions politiques et éthiques de son auteur.
Sa critique de la société américaine, et de la société occidentale en général, repose sur une prise de conscience que l'on pourrait qualifier "d'écologique", et par l'affirmation de la responsabilité du savant (6). Il juge que le marché ne peut résoudre tous les problèmes et qu'un certain nombre de régulations sont indispensables pour socialiser les retombées des sciences et des techniques. Cette démarche qui consiste à s'adresser au public pour discuter sous un angle critique des conséquences sociales des techniques et des sciences est assez rare à l'époque chez un scientifique. Wiener prend la démocratie au sérieux, et sa critique de la société s'exerce au nom d'un idéal démocratique.
Il part de l'idée de progrès, en rappelant qu'elle est une création récente de l'Occident, que la majorité des autres civilisations ne partagent pas. Il ne nie pas les bienfaits apportés par les sciences et les techniques mais il constate que ce progrès a été aussi effroyablement destructeur et qu'en un siècle, l'Occident a réussi à saccager la planète.
"Mille ans d'un genre de vie analogue à celui de l'Europe médiévale ou même à celui du dix- huitième siècle n'eussent pas épuisé nos ressources aussi complètement qu'un siècle de nos propres procédés libéraux" (7).
D'autre part, les bienfaits du progrès scientifique sont à nuancer, la science et la technique sont souvent beaucoup moins efficaces qu'ils ne le croient. Pour lui l'exemple de la médecine, illustration la plus éclatante des réussites de la science, est éclairant. Elle a mis à son actif un certain nombre d'actes qui sans contexte ont fait reculer la mortalité infantile et amélioré la santé des populations. Mais, bien souvent, son triomphalisme est la dupe de ses statistiques. En effet, elle va repérer une maladie par quelques cas graves qui entraînent un décès. A partir de là, va être mis à jour toute une population victime de cette même maladie, et qui dans la majorité des cas guérissait toute seule. La médecine va alors se mettre à "soigner" tous ces gens, et elle aura l'impression d'avoir obtenu un taux de guérison important. Pourtant les malades très atteints continuent à mourir. En réalité elle a piétiné. C'est ce qui s'est passé avec certaines maladies graves comme le cancer (8). D'autre part, la science et la technique résolvent souvent un problème en créant un nouveau problème aussi sérieux, sinon davantage. Par exemple les sulfamides qui sauvent nombre de malades auparavant irrémédiablement condamnés, ont été mal utilisés au départ (en doses trop légères). Cela a provoqué une réaction mutagène intense des virus. Leur victoire n'est que temporaire et nous ne sommes toujours pas à l'abri de nouvelles épidémies.
Quant au progrès technique, ses avantages se paient par une fragilisation de plus en plus grande de nos sociétés, rançon de la complexité technologique et de la mondialisation des échanges. Les grandes villes où s'entassent des populations de plus en plus nombreuses sont totalement dépendantes des réseaux techniques qui les soutiennent et les irriguent et ceux ci sont fragiles, à la merci d'une panne qui peut tourner très vite à la catastrophe. Quand aux campagnes elles sont devenues aussi dépendantes de ces réseaux que les grandes villes. L'idéal du genre de vie traditionnel américain n'est plus qu'un théâtre d'ombres. Malgré le progrès technique, nous ne sommes pas à l'abri d'une famine, ni de menaces sur une ressource naturelle aussi fondamentale que l'eau.
D'autre part, les moyens de communication modernes qui pourraient contribuer à unir la planète, ont entraîné des effets pervers nuisibles à la démocratie. Avec la concentration de la presse, de moins en moins de personnes s'adressent à de plus en plus de gens, ce qui pousse à une érosion de l'originalité et de l'esprit critique: tout ce qui dépasse est gommé pour ne pas déplaire au plus grand nombre. Même constat avec le cinéma : c'est un art coûteux, un film ne peut être rentabilisé que par sa diffusion à un très large public. On en écartera les créateurs vraiment originaux ou dérangeants. Cette critique peut être sans peine transposée à nos médias télévisuels.
La question clé pour Wiener est celle de l'invention. Par le progrès scientifique et technique, nous avons créé quantité de nouveaux problèmes que nous sommes incapables de résoudre aujourd'hui et nous comptons sur les inventions futures pour arranger les choses. Nos sociétés sont devenues totalement tributaires de l'invention, un processus dont les mécanismes délicats nous sont inconnus. Or la socialisation des inventions est monopolisée par les entrepreneurs et le marché qui ont prouvé leur insuffisance à les mettre au service des populations sans générer des retombées négatives extrêmement importantes. Devant les mutations qui s'annoncent, notamment avec l'automation :
"nous devons découvrir quelques mécanismes à l'aide desquels une invention d'intérêt public pourra être effectivement consacrée au public" (9).
Cette dépendance des sociétés modernes envers les sciences et les techniques l'amène tout naturellement à affirmer la responsabilité sociale du scientifique et de l'ingénieur, car ce sont eux les principales sources de l'innovation. En tant que tels ils ne peuvent se permettre de se désintéresser de la socialisation de ce qu'ils créent. Il ne devraient ni s'enfermer dans la tour d'ivoire d'une science pure et désincarnée, ni non plus s'inféoder totalement à l'armée ou à l'industrie.
"Nous ne devons pas être des cerfs inscrits comme des objets de propriété dans les livres des entrepreneurs" (10). "Si l'homme doit continuer d'exister, il ne saurait être à la remorque des affaires" (11).
Wiener est convaincu que les nouvelles machines introduisent des changements sociaux radicaux qui ne pourront être surmontés que par l'invention de nouvelles formes de régulation sociale. C'est particulièrement le cas avec l'automation que Wiener annonce comme inéluctable, parce qu'elle est intrinsèquement liée à une logique de l'évolution propre aux machines et parce qu'elle est porteuse d'énormes gains de productivité. Si ces caractéristiques ne sont pas prises en compte, celle-ci va s'avérer catastrophique. L'automation pousse inéluctablement à la suppression des emplois peu qualifiés en remplaçant l'homme partout où son cerveau en est réduit à un acte réflexe, mais elle s'attaque aussi aux processus de décision. Elle pourrait alléger l'humanité du poids des tâches les plus pénibles, et diminuer le temps de travail, mais si la société ne met pas en oeuvre un certain nombre de réformes, elle sera porteuse de chômage et de troubles sociaux. L'aveuglement des autorités devant les bouleversements qui s'annoncent est dramatique, et il va pousser Wiener à entreprendre un certain nombre de démarches pour tenter, en vain, de les sensibiliser, en particulier les syndicats.
Le danger le plus grand réside cependant dans cette possibilité de déléguer le pouvoir de décision à la machine (12). L'homme peut leur confier l'exécution de procédures décisionnelles répétitives s'il sait très exactement ce qu'il veut et s'il a détaillé les critères sur lesquels reposent sa décision. Mais il ne peut jamais absolument faire confiance à la machine parce que celle ci exécute Òà la lettre" ses instructions, et qu'elle n'a aucun moyen de jauger les conséquences humaines de ses décisions.
Le trait saillant de sa pensée politique est qu'il faut absolument maintenir la différence entre la machine et l'hommes (et il inclut dans la catégorie des machines toutes les organisations bureaucratiques). Ce qui différencie fondamentalement l'homme de la machine, ce n'est pas la pensée (qui est un processus universel), mais la morale. Cette morale n'est pas un absolu, elle varie d'une société à l'autre, d'un groupe social à un autre, et elle évolue avec l'histoire. Néanmoins elle constitue un ultime recours pour l'individu. Parce qu'elle forme son référentiel interne le plus intime, le lieu où se concilie l'individuel et le collectif. Dans sa collaboration avec les machines, l'homme ne doit abdiquer ni sa responsabilité, ni l'affirmation d'une morale :
"transférer sa responsabilité à une machine, qu'elle soit ou non capable d'apprendre, c'est lancer sa responsabilité au vent pour la voir revenir portée par la tempête" (13).
C'est pour ces raisons que Wiener s'oppose violemment à l'idée de machine à gouverner que certains milieu caressent comme une alternative scientifique à la folie humaine. Une version très élaborée et critique en à été présentée par le Révérend Père Dubarle, un dominicain, dans le journal français "Le Monde" (14)..Pour Wiener, la proposition d'une conduite rationnelle des sociétés par des machines conduit au fascisme. Ce qui l'inquiète, ce n'est pas tant la tentative éventuelle d'utiliser les machines pour gouverner les hommes (qu'il juge impossible à mettre en oeuvre à l'époque) mais :
"que de telles machines, quoique impuissantes à elles seules, puissent être utilisées par un être humain, ou un groupe d'êtres humains, pour accroître contrôle sur le restant de la race humaine, ou que des dirigeants politiques tentent de contrôler leurs populations au moyen non des machines elles-mêmes, mais à travers des techniques politiques aussi étroites et indifférentes aux perspectives humaines que si on les avaient conçues, en fait, mécaniquement" (15).
Pour Wiener la machine a gouverner n'est malheureusement pas tout à fait un mythe : elle existe dans le domaine militaire. A l'ouest et à l'est l'évaluation des rapports de force et des intentions de l'adversaire commencent à être confiées à des calculatrices mettant en oeuvre la théorie des jeux de John von Neumann (ou une de ses variantes). Ainsi la décision de déclencher le feu nucléaire est-elle soumise à l'incomplétude d'une théorie mathématique et à sa mise en oeuvre par des machines.
Le père de la cybernétique va tirer les conséquences pratiques de ses positions éthiques, puisqu'il refusera de participer aux recherches où interviennent un financement militaire, ce qui lui fermera beaucoup de portes. Attitude inverse de celle d'un von Neumann (l'inventeur de la structure de l'ordinateur actuel), qui, comme la plupart des "grands scientifiques" de l'époque a toujours joué la carte du complexe militaro-industriel. D'autre part, il prendra clairement position contre le Maccarthysme.
"Nos militaires et nos grands princes du commerce ont observé la technique de la propagande soviétique et l'ont trouvée bonne. Ils ont découvert une digne contrepartie du Guépéou dans le FBI, dans son nouveau rôle de censeur politique"... "Nous avons inventé une nouvelle Inquisition : celle des Serments des Instituteurs, et des commissions du Congrès" (16).
Il ne sera cependant pas spécialement inquiété et il conservera son poste de professeur au MIT jusqu'à la fin de sa vie en 1964.
Cette interrogation sur le rôle social de la science et sur la responsabilité du scientifique n'est pas propre à Wiener, mais elle est extrêmement minoritaire parmi les élites scientifiques des années cinquante, où la guerre froide contre le communisme stalinien a pris la succession de l'union sacrée contre le nazisme.
Il faut se garder de simplifier. Son attitude n'est pas dictée par un antimilitarisme de principe, ni par une position pacifiste. Pendant la guerre contre les nazis et le Japon, il a travaillé à la mise au point de systèmes de tirs anti-aériens. Elle n'obéit pas non plus à une quelconque complaisance envers l'appareil totalitaire du communisme soviétique. Elle est à la foi une affirmation de la responsabilité morale du scientifique et une protestation contre les nouvelles conditions du travail scientifique qu'il juge défavorables à la créativité. L'invention scientifique et technologique, pour s'épanouir, nécessitent la liberté de pensée, l'enthousiasme et l'implication personnelle, elles ont besoin que l'information circule, que les scientifiques puissent échanger en toute liberté avec leurs collègues. Pour lui le secret militaire, et l'inquisition policière, ne sont pas des conditions favorables à la créativité, non plus que l'organisation compartimentée et bureaucratique qui se met en place avec la "big science". Ces pratiques sont des sources de redondance, de gâchis financier et d'inefficacité.
Pour les amateurs de certitudes fortes, la pensée politique de Wiener est gênante parce qu'elle est nuancée. Il est un farouche adversaire de l'appareil communiste, mais il reconnaît et admire les raisons humaines qui ont présidé à la révolution russe :
"l'élément communiste qui mérite essentiellement notre respect consiste dans le sens de la fidélité et dans l'insistance sur la dignité et sur les droits des travailleurs".
Il considère que l'église catholique est le prototype de l'organisation totalitaire et il se méfie de l'affirmation institutionnalisée de la foi, parce qu'elle est un redoutable mécanisme d'exclusion et d'asservissement de l'autre, mais il reconnaît que la science repose en définitive sur un acte de foi. Il attribue aux machines des capacités intellectuelles de décision, mais il pense qu'il ne faut surtout pas faire confiance à ces machines pour décider à la place de l'homme. Enfin, il est un promoteur de l'automation, qu'il estime inévitable, mais il affirme que celle-ci aboutira à une catastrophe sociale si elle est confiée aux seules lois du marché. Surtout, il a l'audace de critiquer, de l'intérieur, les deux vaches sacrées de notre monde moderne, la science et la technique, dont il relativise les prétentions en rappelant le savant et l'ingénieur à leurs responsabilités sociales.

Identités humaines et machiniques: la question du social.

Ses positions politiques sont tout à fait en cohérence avec la vision de l'homme et des sociétés qu'il déduit de la cybernétique. Aussi, pour aborder la question de l'identité humaine, un petit détour par cette discipline est-il indispensable. Rappelons que la cybernétique de Wiener repose sur deux mouvements complémentaires : la recherche des invariants et celle des spécificités. Elle sous-entend un maniement contrôlé de l'analogie pour repérer les traits communs et les différences entre systèmes. Ce point mériterait un long développement, car il est au coeur de la méthodologie cybernétique : retenons qu'il s'agit de repérer les analogies fonctionnelles (et non pas les analogies structurales qui sont trompeuses), et de prendre en compte les différents niveaux de régulation et leurs imbrications.
Si nous considérons l'homme, l'animal et la machine sous l'angle de l'information, nous constaterons qu'ils organisent et régulent tous trois leur action sur un modèle commun, celui du feed-back. Le feed-back est une sorte d'atome irréductible de comportement formé de trois éléments spécialisés indissociables. L'un représente et commande l'action, l'autre agit sur le milieu, et le troisième informe la commande du déroulement de l'action. Cette information permet à la commande de s'adapter au variations du milieu en modifiant le déroulement de l'action en cours.
Le modèle peut être compliqué à loisir, à la fois dans les composantes du feed-back, et aussi dans les liaisons entre feed-back (interaction, emboîtement hiérarchique...). Le point principal est que ce concept permet de comprendre comment une très petite énergie (l'information) peut en commander une autre beaucoup plus forte (quantitativement), autrement dit comment une représentation (17) peut diriger et guider l'action. La notion de feed- back permet d'appréhender comment une finalité interne à un organisme ou à un système (un but), peut être atteinte dans un milieu aux variations aléatoires.
Reste posée la question du changement de but. Pour y répondre Wiener se réfère aux travaux de W. Ross Ashby, un psychiatre (et cybernéticien) anglais, qui a élaboré le concept de multistabilité pour rendre compte de la manière dont un système n'arrivant pas à réaliser ses buts internes (dans un milieu déterminé), va pouvoir les modifier pour rétablir son équilibre (18). Pour aller vite, nous dirons qu'un organisme ne peut survivre dans un environnement donné que s'il arrive à maintenir ses équilibres internes entre certaines limites. Il doit donc asservir le milieu (son extériorité) à ses buts ou modifier ceux ci de manière à s'adapter à ce milieu. La notion de multistasie permet d'intégrer dans le modèle du feed-back la modification des buts. Elle touche au fonctionnement de la commande et fournit à Wiener un modèle élémentaire d'apprentissage.
Ces deux notions (l'une focalisée sur la régulation, l'autre sur l'équilibration) permettent de mieux saisir comment Wiener appréhende l'identité humaine. Ce qui compte ici, pour sa conception de l'identité, c'est d'une part l'insistance sur les finalités internes à un système, et d'autre part l'existence d'une plasticité relative des représentations qui vont exprimer ces finalités internes, en relation avec son milieu.
Dans cette optique, l'homme, l'animal et la machine ont un point commun : leur comportement repose sur des mécanismes informationnels obéissant partiellement à une "logique" commune de l'équilibration. Mais ces mécanismes ne sont pas identiques, ils se distinguent entre eux, par leur plus ou moins grande capacité d'apprentissage, celui ci étant entendu dans un sens très large comme les capacités d'enrichir ses représentations internes par inter-relation avec son milieu. Dans cette optique, capacité d'apprentissage et capacité de communication vont de pair (ou presque), puisque la richesse de la communication dépendra du potentiel de représentation.
L'apprentissage distingue l'homme de l'animal et le rapproche de la machine. Tous trois sont capables d'apprentissage (au sens défini précédemment), mais les capacités des animaux sont limitées par la pauvreté de leur langage. Par contre, pour Wiener, on ne saurait fixer une limite a priori aux capacités d'apprentissage de la machine et de l'homme. De ce point de vue, l'une et l'autre se caractérisent comme des potentiels de structuration largement ouverts. Cela ne signifie pas qu'il y ait identité entre la machine et l'homme : chacun conserve ses caractères propres. L'homme met en valeur un potentiel différent de celui de la machine, où intervient sa sensibilité transcendée dans l'art, sa curiosité envers lui-même et ce qui l'entoure (notamment avec la science), et surtout une dimension morale dont est totalement dénuée la machine.
Lorsque l'on se concentre sur la recherche d'invariants, les repères entre l'homme et la machine sont ambigus et les frontières floues (l'homme se projette partiellement dans la machine et la machine en retour imite dans une certaine mesure la pensée humaine). Lorsqu'il s'agit de désigner les spécificités de chacun, les singularités s'affirment car c'est le pôle humain qui domine. Il ne s'agit plus, pour Wiener, des propriétés d'un homme abstrait ni de machines en général, mais de personnes concrètes à la recherche de leur propre singularité, en liaison ou non avec des machines. Or, pour Wiener, chaque être humain ne peut être qu'irréductiblement singulier, car aucun n'aura intégré exactement la même information, ni interagi de la même manière avec son milieu.
Dans ce processus, la machine est perçue comme un prolongement de l'humain, comme l'instrument éventuel d'une hybridation singulière, mise au service de la conquête de l'intériorité des individus. Mais la machine peut être aussi un instrument d'esclavage dans la mesure ou elle sert à contraindre l'expression des identités. Dans tous les cas, elle ne fait que refléter les finalités des êtres humains. Si la machine devient un instrument d'oppression, c'est que derrière elle se tiennent embusqués des oppresseurs, des imbéciles ou des irresponsables. Si un jour les machines gouvernent les hommes, ce ne seront pas les machines qui auront pris le pouvoir, mais l'homme qui se sera abandonné aux machines.
L'identité humaine serait donc la résultante d'un double mouvement de structuration informationnel. Celui de l'auto-organisation de la matière et celui de l'histoire des sociétés. C'est ce potentiel de structuration qui définit l'homme, un potentiel interne qui se projette sur le monde extérieur pour se réaliser et s'enrichir en le transformant.
En effet, si le potentiel de structuration a sa source dans l'individu, il s'exprime par le biais du collectif en prenant forme par l'inter-relation avec l'extériorité, c'est à dire par la communication avec l'autre, mais aussi avec la Nature, les artefacts et les institutions. Par ce processus de causalité circulaire va s'exprimer et s'expérimenter à la fois le jeu des complémentarités et des antagonismes. Dans l'idéal, le collectif devrait être au service de l'individu, ce qui en fait est rarement le cas puisque, la plupart du temps, les sociétés asservissent les individus à leurs machineries institutionnelles. Mais cet asservissement peut être rigide ou relativement souple, c'est entre autres ce qui ferait la différence entre les sociétés totalitaires (qui sont des sociétés closes informationnellement), et les sociétés démocratiques (qui sont des sociétés plus ouvertes informationnellement) (19).
L'analyse des mécanismes sociaux d'asservissement est seulement ébauchée par Wiener à travers quelques considérations sur les systèmes totalitaires et par une critique de la démocratie américaine. Il procède en étendant le concept de machine informationnelle aux institutions sociales, ce qui l'amène à se focaliser sur la question des représentations sociales et de leur rôle dans le comportement des individus. Il est significatif qu'il souligne à la fois l'importance des engagements affectifs pour leur bon fonctionnement, et qu'il désigne l'Eglise Catholique comme la matrice du totalitarisme, soulignant les analogies de fonctionnement avec les partis communistes.
Wiener fait encore ici la différence entre l'individu (le catholique), dont la foi n'est pas plus dangereuse que celle d'un bouddhiste, d'un protestant ou d'un athée, et l'Eglise comme appareil, comme machine à asservir. Dans son analyse de l'institution, il met l'accent sur la clôture de son système de représentation. Car c'est dans la mesure où l'église se croit détentrice d'une vérité absolue, et que cette vérité peut être soutenue par une machinerie de pouvoir, qu'elle représente un danger pour la liberté qu'a l'individu de choisir ses propres valeurs. Pour Wiener, l'Eglise est un appareil totalitaire, parce que son système de représentation est agencé de telle manière qu'elle ne peut accepter aucune vérité concurrente sauf si un rapport de force la lui impose momentanément.
Le totalitarisme se fonderait donc par la rencontre entre une idéologie close, absolutisée, et un appareil à produire du pouvoir, une machinerie sociale dont les éléments directeurs cherchent à imposer par la force le système de représentation (le modèle) qui les constitue. L'Eglise et les sociétés communistes auraient en commun qu'ils appuient leur stratégie de pouvoir sur la mise en acte d'une représentation du monde et de son sens totalement close sur elle même et qui, de ce fait, ne peut tolérer aucune représentation concurrente.
Comme pour l'animal, l'homme et la machine, c'est la logique du feed-back, c'est à dire l'information en acte (contrôle et communication), qui est au coeur de sa conception des sociétés. C'est dans ce sens que Wiener marque la circularité des causalités : la représentation (l'idéologie) produit l'appareil qui impose cette idéologie et qui la reproduit. C'est également par référence au feed-back qu'il indique la nécessité d'une complémentarité fonctionnelle entre représentation et appareil. Une représentation sans appareil ne peut agir sur le monde pour le construire, et un appareil ne peut fonctionner (ni même se constituer sans doute) sans une représentation qui le commande. L'idéologie close n'est pas dangereuse en elle même. Elle ne le devient que lorsqu'elle produit un appareil qui s'érige en machinerie de pouvoir. La démarche de Wiener est de rechercher les invariants du totalitarisme, indépendamment du contenu propre à chaque système (invariants du système de représentation, invariants des choix organisationnels, invariants des procédés mis en oeuvre par les appareils). Ensuite il réexamine les spécificité de chacun d'eux, en les considérant comme une variation originale autour d'un noyau commun.
Revenons à la question des identités. On pourrait dire que, porté par la métaphore de l'entropie, Wiener oppose deux grandes formes d'identité sociales : l'identité close et l'identité ouverte. L'identité close serait celle qui refuse le dialogue avec l'autre ou qui ne l'accepte que dans la volonté de le réduire à son propre système de représentation. L'identité ouverte serait celle qui accepte un dialogue authentique avec l'autre, au risque d'en être transformée. Cependant Wiener n'est pas l'homme des catégories tranchées. Il nuance par l'exemple. Le fonctionnement de l'ordre des Jésuite lui apparaît similaire à celui des partis communistes. Il fait pourtant remarquer que certains Jésuites ont produit des travaux scientifiques remarquables lorsqu'ils ont abordé des domaines où leur foi ne risquait pas d'être mise en contradiction avec les faits (tels les mathématiques pures ou l'étude des tremblements de terre (20). Cet exemple indique la différence irréductible entre les machineries sociales et l'individu. Si nous nous replaçons dans la logique de Wiener, nous pouvons en inférer qu'un pouvoir, aussi totalitaire soit-il, aura toujours à composer avec le potentiel de structuration (d'apprentissage) des individus toujours prêts à déborder les représentations institutionnelles pour tenter de s'autonomiser.
Ce qui est posé par Wiener, à partir de la question du totalitarisme, ce sont les prolégomènes d'un programme de recherche plus étendu sur les dispositifs de pouvoir : ceux ci seraient analysables en termes d'information de communication et de contrôle, parce que ce sont par les représentations que se construisent, se maintiennent et se reproduisent les organisations et les hommes qui en constituent les rouages. Sa démarche sous-entend que les fondements informationnels des systèmes sociaux sont élucidables à un niveau de généralité suffisant pour appréhender cette dialectique entre organisation et représentation qui permettrait de ne plus être dupe de ce qu'un système raconte sur lui même.
Les analyse de Wiener sur les aspects informationnels du pouvoir et sur le contrôle des dispositifs de construction des identités sociales sont restée à l'état d'ébauches. Mais la démarche cybernétique qui l'inspire est à l'origine de quelques travaux marquants, comme ceux du neurophysiologiste Henri Laborit sur "l'inhibition de l'action" et ceux du psychologue Stanley Milgram sur "la soumission à l'autorité" (21).
Il est à souligner que Wiener se garde bien d'élaborer une utopie. "Cybernétique et société" ne propose pas de société idéale, pas plus qu'il n'est un livre de recettes à l'usage de l'épanouissement de l'humanité souffrante. Il prescrit néanmoins à nos sociétés modernes de se fixer comme but à l'utilisation des machines "un usage humain des être humains". Autrement dit, il nous propose d'exprimer les finalités collectives du progrès des sciences et des techniques en termes d'épanouissement individuel. Par cette définition, il nous met aussi en garde contre un usage inhumain des êtres humains, toujours possible. Cette définition est suffisamment large pour rester ouverte et il ne se prononce pas sur les moyens à utiliser pour atteindre un tel but.

Identité-message ou identité-flamme ?

Un problème de fond se pose cependant : l'homme, l'animal, la machine et les sociétés se réduisent-ils à l'information et aux communications ? Plus exactement le paradigme informationnel est-il en mesure de délimiter un espace de conceptualisation capable de rendre compte, en totalité, de l'identité humaine ? Sur ce point, je crois discerner un curieux balancement chez Wiener, révélateur d'une pensée qui reste en suspens. En effet, les deux illustrations de l'identité qu'il nous présente dans le même chapitre, ne se recouvrent pas exactement l'une l'autre ; il s'agit de l'identité-message et de l'identité-flamme.
L'identité-message repose sur l'affirmation qu'il est possible (théoriquement) de transmettre l'identité d'un individu par télégraphe. Nous sommes en présence d'une version "dure" du paradigme informationnel identifiant individu à information. Il est cependant probable qu'il ne faille pas trop prendre à la lettre la démonstration et qu'il s'agisse ici d'une "expérience de pensée" comparable à l'histoire de l'ascenseur d'Einstein (22). Wiener souligne d'ailleurs que l'expérience est techniquement impossible parce qu'on ne peut pas, en même temps, détruire un corps et le reconstituer. La transmission de l'identité par télégraphe sert à souligner que l'identité n'est pas identifiable à la matière. Le corps humain est traversés par un flot toujours changeant de matière qui n'arrête pas de renouveler ses atomes. Ce n'est donc pas la matière qui compte, mais le maintien de son agencement, de son organisation : l'information.
La métaphore de l'identité-flamme va nuancer cette affirmation. Elle arrive après un long développement, comme une sorte de conclusion provisoire qui manifeste une impossibilité de définition plus précise avant que Wiener ne revienne à son idée d'identité-message. Wiener, qui s'est toujours passionné pour la psychopathologie, s'appuie sur l'exhumation des travaux du Dr. Morton Prince qui a étudié de manière approfondie, une trentaine d'année auparavant, un cas de dédoublement de la personnalité (23) (ce qu'on appellerait aujourd'hui une identité multiple), Il utilise ce cas pour refuser la conception d'une identité homogène, telle celle de l'âme chrétienne ou bouddhique, ou les monades de Leibniz. Bien entendu il nous aura fourni entre temps une hypothèse en terme de machine de la bifurcation possible entre deux identités à partir d'une identité commune. Mais avec l'image de la vivacité insaisissable de la flamme passe le soupçon des limites éventuelles de la notion d'information, au moins telle que Wiener et la cybernétique la conçoivent à l'époque.
Sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, la pensée de Wiener n'est pas close, c'est une pensée en mouvement, qui incite au débat et à l'exercice de l'imagination. Un effort vers une science où ou chaque spécialité apporterait son savoir et ses doutes au pot commun, dans un libre échange avec les autres disciplines. Une science précise sur les faits et ouverte à la confrontation pour les hypothèses. Une science ou les chercheurs sauraient parfois s'élever au dessus des cloisonnements disciplinaires pour élargir leur horizon. Une science qui refuserait la bureaucratisation de la recherche et son inféodation aux puissances d'argent en prenant conscience des implication sociales de ses découvertes. En bref une science citoyenne.

Le refoulement de la question du pouvoir

Après avoir connu un essor assez considérable, la cybernétique fut peu à peu marginalisée par la croissance d'une informatique triomphante, et la plupart de ses concepts "ré-appropriés" par les disciplines traditionnelles qui s'empressèrent d'en effacer les aspects transversaux et d'en oublier l'origine. Il serait trop long ici d'en ébaucher une analyse, mais ce n'est sans doute pas un hasard si le champs de la "communication" occupé par la cybernétique a été peu à peu envahi par une quantité de théories molles qui font du contrôle en évitant d'en parler.
En effet, on oublie souvent dans la définition que Wiener donne de la cybernétique le terme de "contrôle" pour ne retenir que celui de "communication". Or la cybernétique marche sur deux pieds : le contrôle qui repose sur la logique du feed-back, et la communication qui ne peut s'appréhender notamment en régime de complexité (c'est le cas des sociétés) sans faire référence au contrôle (contrôle à travers les représentations et les communications pourrait on dire).
Aussi la principale raison, et il y en a d'autres, du "refoulement" institutionnel de la cybernétique, me semble tenir avant tout à ce que l'approche de la société qu'a Wiener débouche tout naturellement sur la question du pouvoir. Sa conception du contrôle possède une charge éminemment politique, elle élucide en partie la dissymétrie entre "décideurs" et "exécutants", en la saisissant sous l'angle de la spécialisation informationnelle et identitaire, et elle la relativise. Elle montre que celle ci est le résultat d'un montage particulier du traitement de l'information et que ce dispositif doit être activement adapté pour se maintenir dans le temps. Elle suggère que cette dissymétrie ne constitue qu'une forme parmi d'autre d'organisations possibles, et elle ouvre ainsi un champs nouveau à la recherche d'alternatives organisationnelles.
En cela cette pensée apparait comme le contraire d'une utopie, car elle ne s'érige pas sur des recettes mais sur la conjonction entre un objet d'étude et une méthodologie. Elle n'a pas de réponse à priori à offrir, les questions restent à poser et les réponses à construire. Il tombe sous le sens qu'une telle approche qui mettait au premier plan l'analyse des mécanismes du pouvoir dans ses composantes informationnelles (et les processus de représentation sur lesquels ils se fondent), était inacceptable pour une société en voie d'informatisation où la reconstruction des rapports de pouvoir a été écartée systématiquement du débat démocratique. Malgré la crise, il serait étonnant que les choses aient fondamentalement changé aujourd'hui.

Notes

  1. Philippe Breton, L'utopie de la communication, La Découverte, Paris 1992. Philippe Breton est également l'auteur de "Une histoire de l'informatique", tout à fait remarquable, dans laquelle il s'est attaché à débrouiller les différents fils qui ont présidé à la naissance, puis à l'essor de l'informatique, la Découverte, Paris, 1987 (nouvelle édition, coll. "Point-science", Seuil, Paris 1991).
  2. J'ajouterai cependant qu'elle fait peut être une part trop belle aux médias et devrait se complémenter par la prise en compte d'une vulgate informatique promouvant la vision d'un homme programmable et éminemment malléable. D'ailleurs cette utopie est-elle aussi constituée que Breton le croit? Ne s'agirait il pas plutôt de quelque chose de beaucoup plus subtil et multiforme, et par là peut être de plus dangereux, parce que plus adaptable aux évolutions possibles des technologies de l'information et des communications.
  3. De mon point de vue, l'origine d'une telle utopie serait à rechercher ailleurs, notamment (mais pas seulement) du côté de ceux qui ont prôné l'identité absolue entre logique mathématique, ordinateur et pensée humaine, c'est à dire du côté des promoteurs du mythe de la programmation universelle. Hypothèse à laquelle s'opposait la cybernétique.
  4. Après un vif essor, à l'ouest comme à l'est, elle a été progressivement marginalisée pour ensuite disparaître presque totalement en tant que discipline scientifique "institutionnelle".
  5. Norbert Wiener, Cybernetics, Hermann, Paris, et Wiley and Sons, New York, 1948 (l'ouvrage a été publié en France, en anglais). Norbert Wiener, Cybernétique et société, ou de l'usage humain des être humains . Publié deux ans après "Cybernetics", l'ouvrage sera remanié lors d'une nouvelle parution en 1954. La traduction française de la première édition est parue en 1954 aux Editions des Deux Rives, celle de l'édition remaniée en 1962, éditions 10/18. Je me réfère ici, pour les citations, à l'édition synoptique de 1971 parue chez 10/18.
  6. Définir Wiener comme un anarchiste, comme le fait Breton, et en faire un chantre de la transparence absolue est une manière élégante de disqualifier ses positions politiques dans la mesure ou il est de bon ton de traiter d'anarchiste ceux qui prennent l'idée démocratique au sérieux. D'autre part, l'anarchie prône la transparence du pouvoir, elle ne prône pas celle de l'individu.
  7. Norbert Wiener, op. cit., p. 121.
  8. Il semblerait que sur le fond, la situation n'ait guère changée.
  9. Norbert Wiener, op. cit., p. 159.
  10. Norbert Wiener, op. cit., p. 159.
  11. Norbert Wiener, op. cit., p. 160 .
  12. Cette question est reprise dans son dernier ouvrage "God and Golem Inc" publié juste après sa mort en 1964, par les presses du MIT. Une version abrégée et commentée par Gabriel Véraldi a été publié en français par le revue Planète dans ses numéros 22 et 23.
  13. Norbert Wiener, op. cit., p. 459.
  14. Dominique Dubarle, "Vers une machine à Gouverner", Le Monde du 28 décembre 1948. Cet article est abondamment commentée par Breton. Il a été reproduit dans le n¡ 21 de la revue Culture Technique.
  15. Norbert Wiener, op. cit., p. 451.
  16. Norbert Wiener, op. cit., p. 497 et 498.
  17. Wiener n'emploie pas ce terme de représentation (mais ceux de modèle: pattern). Je me suis permis de l'utiliser parce qu'il me semble bien globaliser les questions soulevées par Wiener, qui autrement demanderaient une bien plus longue exposition.
  18. Feed-back et multistat s'inspirent du concept d'homéostasie mis à jour par le grand physiologiste Canon, et qui désigne cette faculté du vivant à conserver un certains nombre de constantes internes (comme la température ou le pH. sanguin), malgré les variations de son milieu externe.
  19. Cette coupure entre société "ouvertes" et sociétés "closes" pose problème dans la mesure ou une société n'est jamais totalement close, et où se trouveraient rassemblées dans une même catégorie, les sociétés "modernes" totalitaires et les sociétés dites "primitives". Si Wiener suggère fortement cette catégorisation, il ne va pas jusqu'à l'énoncer clairement. Comme souvent chez Wiener et chez les scientifiques de l'époque, nous nous trouvons devant un énoncé général un peu aventureux, une piste ébauchée qui demande à ne pas être prise à la lettre, mais éventuellement développée et nuancée.
  20. Quand aux recensions des Jésuites, ces rapports qu'ils doivent envoyer -comme les communistes-, à leur supérieur, il les juge d'une remarquable qualité "à peine inférieures au recensions des ambassadeurs Vénitiens à une époque antérieure", p. 484.
  21. L'éthologiste Konrad Lorenz, le psychologue Jean Piaget, le sociologue Edgar Morin... s'inspirent nommément de la cybernétique dans certains de leurs travaux.
  22. Un observateur se trouve dans un ascenseur qui tombe en chute libre.
  23. Ces travaux sont alors considérés comme marginaux par les psychiatres qui interprètent le cas en termes d'hystérie. Wiener refuse d'identifier le dédoublement de personnalité à une hystérie. Ce terme n'est pour lui qu'une étiquette sans pouvoir explicatif.